Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Notre France, sa géographie, son histoire

Notre France, sa géographie, son histoire

Titel: Notre France, sa géographie, son histoire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
Vom Netzwerk:
autre, de quelque rang qu'il soit, les yeux baissés, on dit qu'il
     n'est pas prud'homme puisqu'il n'ose regarder en
     face. »

XXVI
    LA CHAMPAGNE
    C'est une triste chute que de tomber de la Bourgogne dans la
     Champagne, de voir, après ces riants coteaux, des plaines basses et crayeuses
     Le cœur de la Champagne est un morceau de craie. Sans parler du désert de la
     Champagne-Pouilleuse, une triste mer de chaume étendue sur une immense plaine
     de plâtre, le pays est généralement plat, pâle, d'un prosaïsme désolant 1 .
     Les bêtes sont chétives ; les minéraux, les plantes peu variés. De
     maussades rivières traînent leur eau blanchâtre entre deux rangs de jeunes
     peupliers. La maison, jeune aussi, et caduque en naissant tâche de défendre un
     peu sa frêle existence en s'encapuchonnant tant qu'elle peut d'ardoises, au
     moins de pauvres ardoises de bois ; mais sous sa fausse ardoise, sous sa
     peinture délavée par la pluie, perce la craie, blanche, sale, indigente.
    De telles maisons ne peuvent pas faire de belles villes. Châlons n'est
     guère plus gaie que ses plaines. Troyes est presque aussi laide
     qu'industrieuse. Reims est triste dans la largeur solennelle de ses rues, qui
     fait paraître les maisons plus basses encore ; ville autrefois de
     bourgeois et de prêtres, vraie sœur de Tours, ville sacrée et tant soit peu
     dévote ; chapelets et pains d'épice, bons petits draps, petit vin
     admirable, des foires et des pèlerinages.
    Ces villes, essentiellement démocratiques et antiféodales, de Troyes,
     de Bar-sur-Seine, etc., ont été l'appui principal de la monarchie elles
     devaient sympathiser avec le pouvoir pacifique et régulier du roi, plus qu'avec
     la turbulence militaire des seigneurs. Le parti du roi, c'était le parti de la
     paix, de l'ordre, de la sûreté des routes. Ceci explique la haine furieuse des
     seigneurs centre la Champagne qui avait de bonne heure abandonné leur ligue. La
     jalousie de la féodalité contre l'industrialisme ne fut point certainement
     étrangère aux affreux ravages que les barons firent dans la Champagne pendant
     la minorité de saint Louis.
    Dès le onzième siècle, les comtés de Blois et de Champagne s'étant
     divisés, cessèrent de composer une puissance redoutable. Famille plus aimable
     que guerrière, libres-penseurs, poètes, pèlerins, croisés, les comtes de Blois
     et de Champagne n'eurent ni l'esprit de suite ni la ténacité de leurs rivaux de
     Normandie et d'Anjou. Ils encourageaient les communes commerçantes, divisaient,
     à Troyes, la Seine en canaux et protégeaient également saint Bernard et
     Abeilard, son rival 2 .
    La coutume de Troyes, qui consacrait l'égalité des partages a
     contribué aussi à diviser et à anéantir les forces de la noblesse. Telle
     seigneurie qui allait ainsi toujours se divisant, put se trouver morcelée en
     cinquante, en cent parts, à la quatrième génération. Les nobles appauvris
     essayèrent de se relever en mariant leurs filles à de riches roturiers. La même
     coutume déclare que le ventre anoblit . Cette précaution illusoire
     n'empêcha pas les enfants des mariages inégaux de se trouver fort près de la
     roture. La noblesse ne gagna pas à cette addition de nobles roturiers. Enfin
     ils jetèrent la vraie honte, et se firent commerçants.
    Le malheur, c'est que ce commerce ne se relevait ni par l'objet ni par
     la forme. Ce n'était point le négoce lointain, aventureux, héroïque, des
     Catalans ou des Génois. Le commerce de Troyes, de Reims, n'était pas de
     luxe ; on n'y voyait pas ces illustres corporations, ces Grands et Petits
     Arts de Florence, où des hommes d'État, tels que les Médicis, trafiquaient des
     nobles produits de l'Orient et du Nord, de soie, de fourrures, de pierres
     précieuses. L'industrie champenoise était profondément plébéienne. Aux foires
     de Troyes, fréquentées de toute l'Europe, on vendait du fil, de petites
     étoffes, des bonnets de coton, des cuirs 3  : nos tanneurs du faubourg Saint-Marceau
     sont originairement une colonie troyenne. Ces vils produits, si nécessaires à
     tous, firent la richesse du pays. Les nobles s'assirent de bonne grâce au
     comptoir, et firent politesse au manant. Ils ne pouvaient, dans ce tourbillon
     d'étrangers qui affluaient aux foires, s'informer de la généalogie des
     acheteurs, et disputer du cérémonial. Ainsi peu à peu commença l'égalité. Et le
     grand comte de

Weitere Kostenlose Bücher