Notre France, sa géographie, son histoire
autre, de quelque rang qu'il soit, les yeux baissés, on dit qu'il
n'est pas prud'homme puisqu'il n'ose regarder en
face. »
XXVI
LA CHAMPAGNE
C'est une triste chute que de tomber de la Bourgogne dans la
Champagne, de voir, après ces riants coteaux, des plaines basses et crayeuses
Le cœur de la Champagne est un morceau de craie. Sans parler du désert de la
Champagne-Pouilleuse, une triste mer de chaume étendue sur une immense plaine
de plâtre, le pays est généralement plat, pâle, d'un prosaïsme désolant 1 .
Les bêtes sont chétives ; les minéraux, les plantes peu variés. De
maussades rivières traînent leur eau blanchâtre entre deux rangs de jeunes
peupliers. La maison, jeune aussi, et caduque en naissant tâche de défendre un
peu sa frêle existence en s'encapuchonnant tant qu'elle peut d'ardoises, au
moins de pauvres ardoises de bois ; mais sous sa fausse ardoise, sous sa
peinture délavée par la pluie, perce la craie, blanche, sale, indigente.
De telles maisons ne peuvent pas faire de belles villes. Châlons n'est
guère plus gaie que ses plaines. Troyes est presque aussi laide
qu'industrieuse. Reims est triste dans la largeur solennelle de ses rues, qui
fait paraître les maisons plus basses encore ; ville autrefois de
bourgeois et de prêtres, vraie sœur de Tours, ville sacrée et tant soit peu
dévote ; chapelets et pains d'épice, bons petits draps, petit vin
admirable, des foires et des pèlerinages.
Ces villes, essentiellement démocratiques et antiféodales, de Troyes,
de Bar-sur-Seine, etc., ont été l'appui principal de la monarchie elles
devaient sympathiser avec le pouvoir pacifique et régulier du roi, plus qu'avec
la turbulence militaire des seigneurs. Le parti du roi, c'était le parti de la
paix, de l'ordre, de la sûreté des routes. Ceci explique la haine furieuse des
seigneurs centre la Champagne qui avait de bonne heure abandonné leur ligue. La
jalousie de la féodalité contre l'industrialisme ne fut point certainement
étrangère aux affreux ravages que les barons firent dans la Champagne pendant
la minorité de saint Louis.
Dès le onzième siècle, les comtés de Blois et de Champagne s'étant
divisés, cessèrent de composer une puissance redoutable. Famille plus aimable
que guerrière, libres-penseurs, poètes, pèlerins, croisés, les comtes de Blois
et de Champagne n'eurent ni l'esprit de suite ni la ténacité de leurs rivaux de
Normandie et d'Anjou. Ils encourageaient les communes commerçantes, divisaient,
à Troyes, la Seine en canaux et protégeaient également saint Bernard et
Abeilard, son rival 2 .
La coutume de Troyes, qui consacrait l'égalité des partages a
contribué aussi à diviser et à anéantir les forces de la noblesse. Telle
seigneurie qui allait ainsi toujours se divisant, put se trouver morcelée en
cinquante, en cent parts, à la quatrième génération. Les nobles appauvris
essayèrent de se relever en mariant leurs filles à de riches roturiers. La même
coutume déclare que le ventre anoblit . Cette précaution illusoire
n'empêcha pas les enfants des mariages inégaux de se trouver fort près de la
roture. La noblesse ne gagna pas à cette addition de nobles roturiers. Enfin
ils jetèrent la vraie honte, et se firent commerçants.
Le malheur, c'est que ce commerce ne se relevait ni par l'objet ni par
la forme. Ce n'était point le négoce lointain, aventureux, héroïque, des
Catalans ou des Génois. Le commerce de Troyes, de Reims, n'était pas de
luxe ; on n'y voyait pas ces illustres corporations, ces Grands et Petits
Arts de Florence, où des hommes d'État, tels que les Médicis, trafiquaient des
nobles produits de l'Orient et du Nord, de soie, de fourrures, de pierres
précieuses. L'industrie champenoise était profondément plébéienne. Aux foires
de Troyes, fréquentées de toute l'Europe, on vendait du fil, de petites
étoffes, des bonnets de coton, des cuirs 3 : nos tanneurs du faubourg Saint-Marceau
sont originairement une colonie troyenne. Ces vils produits, si nécessaires à
tous, firent la richesse du pays. Les nobles s'assirent de bonne grâce au
comptoir, et firent politesse au manant. Ils ne pouvaient, dans ce tourbillon
d'étrangers qui affluaient aux foires, s'informer de la généalogie des
acheteurs, et disputer du cérémonial. Ainsi peu à peu commença l'égalité. Et le
grand comte de
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