Notre France, sa géographie, son histoire
lorsqu'ils furent soûls de pillage, lorsqu'à force de revenir annuellement,
ils se furent fait une patrie de la terre qu'ils ravageaient, il fallut des
Sabines à ces nouveaux Romulus. Ils prirent femme, et les enfants, comme il
arrive nécessairement, parlèrent la langue de leur mère.
Ce génie de scribes et de légistes qui a rendu leur nom proverbial en
Europe, nous le trouvons chez eux dès leur établissement. C'est ce qui
explique, en partie, la multitude prodigieuse de fondations ecclésiastiques
chez un peuple qui n'était pas autrement dévot. Le moine Guillaume de Poitiers
dit que la Normandie était une Égypte par la multitude des monastères. Ces
monastères étaient des écoles d'écriture, de philosophie, d'art et de
droit.
Les historiens de la conquête d'Angleterre et de Sicile se sont plu à
présenter leurs Normands sous les formes et la taille colossale des héros de
chevalerie. Les ennemis des Normands, sans nier leur valeur, ne leur attribuent
point ces forces surnaturelles.
Mélange d'audace et de ruse, conquérants et chicaneurs comme les
anciens romains, scribes et chevaliers, rusés comme les prêtres et bons amis
des prêtres (au moins pour commencer), ils firent leur fortune par l'Église et
malgré l'Église. La lance y fit, mais aussi la lance de Judas comme
parle Dante.
Le héros de cette race c'est Robert l' Avisé qui vécut quelque
temps en volant des chevaux, puis passa en Sicile, la conquit sur les Arabes,
se fit duc de Pouille et de Calabre, chassa l'empereur Henri IV de Rome et
recueillit Grégoire VII, qui mourut chez lui à Salerne.
La Normandie était petite et la police y était trop bonne pour qu'on
pût butiner grand'chose les uns sur les autres. Il fallut donc que les
Northmans allassent, comme ils le disaient, gaaignant par l'Europe. Mais
l'Europe féodale hérissée de châteaux n'était pas, au onzième siècle, facile à
parcourir. Chaque passe des fleuves, chaque poste dominant avait sa tour ;
à chaque défilé on voyait descendre de la montagne quelque homme d'armes avec
ses varlets et ses dogues qui demandait péage ou bataille ; il visitait le
petit bagage du voyageur, prenait part, quelquefois prenait tout et l'homme
par-dessus. Il n'y avait pas beaucoup à gaaigner en voyageant ainsi. Nos
Normands s'y prenaient mieux. Ils se mettaient plusieurs ensemble, bien montés,
bien armés, mais de plus affublés en pèlerins, de bourdons et coquilles. Ils
prenaient même volontiers quelques moines avec eux. Alors, qui eût voulu les
arrêter, ils auraient répondu doucement avec leur accent traînant et nasillard,
qu'ils étaient de pauvres pèlerins, qu'ils s'en allaient au Mont-Cassin, au
saint sépulcre, à Saint-Jacques-de-Compostelle. On respectait d'ordinaire une
dévotion si bien armée. Le fait est qu'ils aimaient ces lointains pèlerinages.
Il n'y avait pas d'autre moyen d'échapper à l'ennui du manoir. Et puis,
c'étaient des routes fréquentées ; il y avait de bons coups à faire sur le
chemin et l'absolution au bout du voyage. Tout au moins, comme ces pèlerinages
étaient aussi des foires, on pouvait faire un peu de commerce et gagner cent
pour cent en faisant son salut.
C'est un pèlerinage qui conduisit d'abord les Normands dans l'Italie
du sud où ils devaient fonder un royaume.
Mais ce fut une croisade que la conquête de l'Angleterre par Guillaume
le Conquérant. Une foule de gens d'armes affluèrent de toute l'Europe. Pour
cette invasion depuis longtemps préparée, Guillaume faisait acheter les plus
beaux chevaux en Espagne, en Gascogne et en Auvergne. C'est peut-être lui qui a
créé ainsi la belle et forte race de nos chevaux normands.
Au commencement du quinzième siècle, ce fut le tour de la Normandie
d'être conquise par l'Angleterre. Henri V, après la bataille d'Azincourt, où
resta toute la noblesse de France, fit sagement, politiquement sa conquête.
D'abord, la Basse-Normandie, si riche ! Le Calvados qui réunit toute
culture tenait déjà grand marché à Caen. Puis, ce fut le tour de Rouen. Dès
juin, 8,000 Irlandais, presque nus, affamés, avaient été lancés sur les
campagnes environnantes ; ils avaient tout pris, tout mangé. La ville
était sans vivres. Henri s'attendait à une résistance opiniâtre. Son attente
fut surpassée. Pendant sept mois, Rouen tint en échec la grande armée anglaise.
La famine,
Weitere Kostenlose Bücher