Notre France, sa géographie, son histoire
regardez
d'abord la Bretagne. N'est-ce pas, vue de profil, la tête d'un grand oiseau
singulièrement animé de vie et d'action ? C'est une tête d'aigle, ou
plutôt, car elle est chauve, d'un gigantesque condor âprement avide de l'infini
vers lequel il s'élance. Suivez maintenant à droite le contour de la carte,
vous verrez le corps de l'oiseau se dessiner à son tour. Il couvre toute la
France. Ses vastes ailes, à demi repliées, sont chargées de toutes nos
provinces du nord-est, que la bête emporte avec elle comme une proie à l'Océan.
Mais la charge en est si lourde, qu'elle l'oblige à se replier fortement sur
elle-même pour ajouter à la puissance de l'effort. Sous cette flexion, les
flancs se sont évidés... Le vide s'est creusé si profond qu'une mer tout
entière y peut tenir (le golfe de Gascogne). L'élan est déjà dans la tête et
dans les ailes, mais le reste du corps tient encore à la terre. On dirait qu'au
moment de prendre l'essor, l'oiseau, si puissant qu'il soit, surchargé du poids
énorme de tant de provinces, a voulu s'assurer le meilleur point d'appui.
Jetant, hardiment, ses puissantes serres à l'autre bout de la France, il les a
plantées, non pas en bas, sur le sable de la plaine, mais en haut, sur la
montagne et sur le roc, sur la cime granitique des Pyrénées. Regardez
encore ; non seulement cette figure d'oiseeu emportant la France à l'Océan
se détachera à vos yeux dans une étonnante vigueur, mais vous saisirez de plus
en plus, dans tous ses mouvements, une précision, une justesse pour ainsi dire
géométriques.
(M me J. M.)
XXVIII
LA FLANDRE
Rien de plus positif et réel que le génie de notre bonne et forte
Flandre ; rien de plus solidement fondé, solidis fundatum ossibus
intus . Sur ces grasses et plantureuses campagnes uniformément riches
d'engrais, de canaux, d'exubérante et grossière végétation, herbes, hommes et
animaux, poussent à l'envi, grossissent à plaisir. Le bœuf et le cheval y
gonflent, à jouer l'éléphant. La femme vaut un homme et souvent mieux. Race
pourtant un peu molle dans sa grosseur, plus forte que robuste, mais d'une
force musculaire immense. Nos hercules de foire sont venus souvent du
département du Nord.
La force prolifique des Bolg d'Irlande se trouve chez nos Belges de
Flandre et des Pays-Bas. Dans l'épais limon de ces riches plaines, dans ces
vastes et sombres communes industrielles, d'Ypres, de Gand, de Bruges, les
hommes grouillaient comme les insectes après l'orage. Il ne fallait pas mettre
le pied sur ces fourmilières. Ils en sortaient à l'instant, piques baissées,
par quinze, vingt, trente mille hommes, tous forts, bien nourris, rouges,
robustes et hardis, de rudes hommes, qui avaient foi dans la grosseur de leurs
bras et la pesanteur de leurs mains, des forgerons qui, dans une révolte,
continuaient de battre l'enclume sur la cuirasse des chevaliers, des foulons,
des boulangers, qui pétrissaient l'émeute comme le pain, des bouchers qui
pratiquaient sans scrupule leur métier sur des hommes.
Froidement héroïques devant la mort, on les vit à Roosebeke, se lier
les uns aux autres pour être sûrs de charger avec ensemble et de ne pas être
séparés.
Contre de telles masses la cavalerie féodale n'avait pas beau jeu.
Peu guerriers d'ailleurs de leur nature, sauf quelques moments de
colère brutale, avaient-ils si grand tort d'être fiers, ces braves
Flamands ? Tout gros et grossiers qu'ils étaient 1 , ils faisaient
merveilleusement leurs affaires. Personne n'entendait comme eux le commerce,
l'industrie, l'agriculture. Nulle part le bon sens, le sens du positif, du
réel, ne fut plus remarquable. Nul peuple peut-être, au moyen âge, ne comprit
mieux la vie courante du monde, ne sut mieux agir et conter. La Champagne et la
Flandre sont alors les seuls pays qui puissent lutter pour l'histoire avec
l'Italie. La Flandre a son Villani dans Froissart, et dans Commines son
Machiavel. Ajoutez-y ses empereurs-historiens de Constantinople. Ses auteurs de
fabliaux sont encore des historiens, au moins en ce qui concerne les mœurs
publiques.
Mœurs peu édifiantes, sensuelles et grossières. Et plus on avance au
nord dans cette grasse Flandre, sous cette douce et humide atmosphère, plus la
contrée s'amollit, plus la sensualité domine, plus la nature devient puissante.
L'histoire, le récit ne suffisent plus
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