Notre France, sa géographie, son histoire
celui qui la cultive. Les longs fermages, très usités en Normandie,
équivalent presque, pour le paysan, à la possession de la terre. Aussi, le
sentiment de la propriété est-il en lui très vif. La finale traînante de la
prononciation normande exprime, à elle seule, un retour énergique
d'égoïsme.
Ce nord-ouest de la France, comme le sud-ouest et le sud-est, regarde
la mer. Mais au nord, ce ne sont pas ces ports, ces abris admirables du
midi : Marseille, Toulon, Hyères, etc.
La longue muraille des falaises normandes, incessamment battue des
courants de la Manche, sapée de leurs fureurs discordantes, n'a que d'étroites
percées d'un difficile accès. Ces ports imperceptibles, la mer, si l'on n'y
veillait, les aurait bientôt comblés. Elle roule contre eux ses montagnes de
galets ; elle rétrécit l'entrée des passes par l'écroulement des falaises,
un monde en démolition.
Ici, les rapports de l'homme sont visiblement bien moins avec la terre
qu'avec l'Océan. Si la nature, — mère impartiale, — le dispense des grands
labeurs agricoles dont elle accable le paysan du Midi ; si elle a fait
pour lui la prairie normande, et si, après l'avoir faite, elle s'est chargée du
soin de l'entretenir, si, grâce à elle, tant de bras sont libres, c'est qu'elle
entend donner à l'homme du Nord une autre mission à remplir.
La Manche a longtemps été pour la population des côtes normandes,
comme le golfe de Gascogne pour les Basques, une grande école d'audace et
d'héroïsme. Les femmes aussi s'en mêlaient. Elles n'allaient pas à la pêche de
Terre-Neuve, mais elles tissaient leurs lots de filets, qu'elles confiaient aux
pécheurs. Ce lot de filets était leur fief qu'elles administraient avec la
prudence de la femme de Guillaume le Conquérant.
Pourquoi la France s'est-elle désintéressée de la mer ? Pourquoi
cette association pacifique entre pêcheurs, celle des filets pour la pêche, sur
les côtes d'Harfleur et de Barfleur, la plus belle à mon sens, n'existe-t-elle
plus aujourd'hui que dans l'histoire ? L'Océan ne serait-il donc pour
nous, désormais, que l'infini stérile ?
Grande race des marins normands qui la première trouva l'Amérique,
fonda les comptoirs d'Afrique, conquit les deux Siciles et l'Angleterre !
Ne vous retrouverai-je donc plus que sur la tapisserie de Bayeux ? Qui n'a
le cœur percé, en passant des falaises aux dunes, de nos côtes si languissantes
à celles d'en face qui sont si vivantes, de l'inertie de Cherbourg à la
brûlante activité de Portsmouth ?...
Il est pourtant visible, par le nombre innombrable des églises de
Normandie, que la vie de la France, au moyen âge, était surtout à l'Ouest.
L'Angleterre, au dixième, douzième, treizième siècle, se vit plusieurs fois
envahie ; la France eut alors l'avantage sur mer.
D'où vient qu'elle abandonne chaque jour davantage sa part de la vie
maritime quand la nature, l'entourant d'eau de trois côtés, lui a marqué si
fortement ses destinées ?
Serrée à l'est par les hautes montagnes du Dauphiné, la longue
muraille du Jura et les replis des Vosges, la France, d'elle-même, se porte à
l'ouest, à l'Océan. La proue de son vaisseau, la granitique Bretagne, y plonge
déjà tout entière à l'assaut des tempêtes. Derrière, la presqu'île du Cotentin
se dresse comme une voile ouverte au vent. L'élan est donné et la France le
suit ; elle coule avec tous ses fleuves vers cet infini de la liberté 4 .
1 Du côté de Coutances particulièrement, les figures
et le paysage sont singulièrement anglais.
2 Il paraît que les Dieppois avaient découvert avant
les Portugais la route des Indes ; mais ils en gardèrent si bien le
secret, qu'ils en ont perdu la gloire.
3 Le vrai bocage normand , à la porte de la
Bretagne, occupe la moitié sud de trois départements (Orne, Calvados, Manche).
C'est là surtout qu'il y a division et subdivision de propriétés et de
fermes.
4 Il suffit d'avoir remarqué la physionomie de la
Bretagne pour qu'elle s'impose. Rien de plus expressif. Prenez une carte de
France suffisamment étendue et bien délimitée. Celle que j'ai sous les yeux est
une carte hydrographique teintée de vert et liserée de rouge pour marquer les
frontières. Ni provinces, ni départements ne sont encore indiqués, ce qui met
en relief la netteté de l'ensemble. Mettez cette carte bien en face et
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