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Notre France, sa géographie, son histoire

Notre France, sa géographie, son histoire

Titel: Notre France, sa géographie, son histoire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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celui qui la cultive. Les longs fermages, très usités en Normandie,
     équivalent presque, pour le paysan, à la possession de la terre. Aussi, le
     sentiment de la propriété est-il en lui très vif. La finale traînante de la
     prononciation normande exprime, à elle seule, un retour énergique
     d'égoïsme.
    Ce nord-ouest de la France, comme le sud-ouest et le sud-est, regarde
     la mer. Mais au nord, ce ne sont pas ces ports, ces abris admirables du
     midi : Marseille, Toulon, Hyères, etc.
    La longue muraille des falaises normandes, incessamment battue des
     courants de la Manche, sapée de leurs fureurs discordantes, n'a que d'étroites
     percées d'un difficile accès. Ces ports imperceptibles, la mer, si l'on n'y
     veillait, les aurait bientôt comblés. Elle roule contre eux ses montagnes de
     galets ; elle rétrécit l'entrée des passes par l'écroulement des falaises,
     un monde en démolition.
    Ici, les rapports de l'homme sont visiblement bien moins avec la terre
     qu'avec l'Océan. Si la nature, — mère impartiale, — le dispense des grands
     labeurs agricoles dont elle accable le paysan du Midi ; si elle a fait
     pour lui la prairie normande, et si, après l'avoir faite, elle s'est chargée du
     soin de l'entretenir, si, grâce à elle, tant de bras sont libres, c'est qu'elle
     entend donner à l'homme du Nord une autre mission à remplir.
    La Manche a longtemps été pour la population des côtes normandes,
     comme le golfe de Gascogne pour les Basques, une grande école d'audace et
     d'héroïsme. Les femmes aussi s'en mêlaient. Elles n'allaient pas à la pêche de
     Terre-Neuve, mais elles tissaient leurs lots de filets, qu'elles confiaient aux
     pécheurs. Ce lot de filets était leur fief qu'elles administraient avec la
     prudence de la femme de Guillaume le Conquérant.
    Pourquoi la France s'est-elle désintéressée de la mer ? Pourquoi
     cette association pacifique entre pêcheurs, celle des filets pour la pêche, sur
     les côtes d'Harfleur et de Barfleur, la plus belle à mon sens, n'existe-t-elle
     plus aujourd'hui que dans l'histoire ? L'Océan ne serait-il donc pour
     nous, désormais, que l'infini stérile ?
    Grande race des marins normands qui la première trouva l'Amérique,
     fonda les comptoirs d'Afrique, conquit les deux Siciles et l'Angleterre !
     Ne vous retrouverai-je donc plus que sur la tapisserie de Bayeux ? Qui n'a
     le cœur percé, en passant des falaises aux dunes, de nos côtes si languissantes
     à celles d'en face qui sont si vivantes, de l'inertie de Cherbourg à la
     brûlante activité de Portsmouth ?...
    Il est pourtant visible, par le nombre innombrable des églises de
     Normandie, que la vie de la France, au moyen âge, était surtout à l'Ouest.
     L'Angleterre, au dixième, douzième, treizième siècle, se vit plusieurs fois
     envahie ; la France eut alors l'avantage sur mer.
    D'où vient qu'elle abandonne chaque jour davantage sa part de la vie
     maritime quand la nature, l'entourant d'eau de trois côtés, lui a marqué si
     fortement ses destinées ?
    Serrée à l'est par les hautes montagnes du Dauphiné, la longue
     muraille du Jura et les replis des Vosges, la France, d'elle-même, se porte à
     l'ouest, à l'Océan. La proue de son vaisseau, la granitique Bretagne, y plonge
     déjà tout entière à l'assaut des tempêtes. Derrière, la presqu'île du Cotentin
     se dresse comme une voile ouverte au vent. L'élan est donné et la France le
     suit ; elle coule avec tous ses fleuves vers cet infini de la liberté 4 .
    1 Du côté de Coutances particulièrement, les figures
     et le paysage sont singulièrement anglais.
    2 Il paraît que les Dieppois avaient découvert avant
     les Portugais la route des Indes ; mais ils en gardèrent si bien le
     secret, qu'ils en ont perdu la gloire.
    3 Le vrai bocage normand , à la porte de la
     Bretagne, occupe la moitié sud de trois départements (Orne, Calvados, Manche).
     C'est là surtout qu'il y a division et subdivision de propriétés et de
     fermes.
    4 Il suffit d'avoir remarqué la physionomie de la
     Bretagne pour qu'elle s'impose. Rien de plus expressif. Prenez une carte de
     France suffisamment étendue et bien délimitée. Celle que j'ai sous les yeux est
     une carte hydrographique teintée de vert et liserée de rouge pour marquer les
     frontières. Ni provinces, ni départements ne sont encore indiqués, ce qui met
     en relief la netteté de l'ensemble. Mettez cette carte bien en face et

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