Notre France, sa géographie, son histoire
s'éleva entre les cités rivales,
Gand prévalut sur Bruges et sur Ypres, au quatorzième siècle. Au quinzième, où
la lutte fut directement entre le comte et les villes, leur désunion les fit de
nouveau succomber. Gand ne fut pas soutenue de Bruges et Gand, à son tour, fut
brisée.
Outre les divisions intestines, cette frontière des races et des
langues européennes est un grand théâtre des victoires de la vie et de la mort 3 . Les hommes poussent vite, multiplient à
étouffer ; puis les batailles y pourvoient. Là se combat à jamais la
grande bataille des peuples et des races. Cette bataille du monde qui eut lieu,
dit-on, aux funérailles d'Attila, elle se renouvelle incessamment en Belgique
entre la France, l'Angleterre et l'Allemagne, entre les Celtes et les Germains.
C'est là le coin de l'Europe, le rendez-vous des guerres. Voilà pourquoi elles
sont si grasses, ces plaines ; le sang n'a pas le temps d'y sécher !
Lutte terrible et variée ! ! A nous les batailles de Bouvines,
Roosebeke, Lens, Steinkerke, Denain, Fontenoi, Fleurus, Jemmapes ; à eux,
celles des Éperons, de Courtray. Faut-il nommer Waterloo ! 4
Angleterre ! Angleterre ! vous n'avez pas combattu ce
jour-là seul à seul : vous aviez le monde avec vous. Pourquoi prenez-vous
pour vous toute la gloire ? Y a-t-il tant à s'enorgueillir, si le reste
mutilé de cent batailles, si la dernière levée de la France, légion imberbe,
sortie à peine des lycées et du baiser des mères, s'est brisée contre votre
armée mercenaire, ménagée dans tous les combats, et gardée contre nous comme le
poignard de miséricorde dont le soldat aux abois assassinait son
vainqueur ?
Je ne tairai rien pourtant. Elle me semble bien grande cette
Angleterre, en face de l'Europe, en face de Dunkerque et d'Anvers en
ruines.
Tous les autres pays, Russie, Autriche, Italie, Espagne, France, ont
leurs capitales à l'ouest et regardent au couchant ; le grand vaisseau
européen semble flotter, la voile enflée du vent qui jadis souffla de l'Asie.
L'Angleterre seule a la proue à l'est, comme pour braver le monde, unum
omnia contra . Cette dernière terre du vieux continent est la terre
héroïque, l'asile éternel des bannis, des hommes énergiques... Tous ceux qui ont
jamais fui la servitude, druides poursuivis par Rome, Gaulois-Romains chassés
par les barbares, Saxons proscrits par Charlemagne, Danois affamés, Normands
avides, et l'industrialisme flamand persécuté, et le calvinisme vaincu, tous
ont passé la mer, et pris pour patrie la grande île : Arva, beata
petamus arva, divites et insulas... Ainsi l'Angleterre a engraissé de
malheurs et grandi de ruines. Mais à mesure que tous ces proscrits, entassés
dans cet étroit asile, se sont mis à se regarder, à mesure qu'ils ont remarqué
les différences de races et de croyances qui les séparaient, qu'ils se sont vus
Kymrys, Gaëls, Saxons, Danois, Normands, la haine et le combat sont venus.
Ça été comme ces combats bizarres dont on régalait Rome, ces combats
d'animaux étonnés d'être ensemble : hippopotames et lions, tigres et
crocodiles. Et quand les amphibies, dans leur cirque fermé de l'Océan, se sont
assez longtemps mordus et déchirés, ils se sont jetés à la mer, ils ont mordu
la France.
La guerre des guerres, le combat des combats, c'est celui de
l'Angleterre et de la France ; le reste est épisode. Les noms français
sont ceux des hommes qui tentèrent de grandes choses contre l'Anglais. La
France n'a qu'un saint, la Pucelle ; et le nom de Guise qui leur arracha
Calais des dents, le nom des fondateurs de Brest, de Dunkerque et d'Anvers,
voilà, quoique ces hommes aient fait du reste, des noms chers au pays. Pour
moi, je me sens personnellement obligé envers ceux qu'ils armèrent, les
Duguay-Trouin, les Jean-Bart, les Surcouf, ceux qui rendaient pensifs les gens
de Plymouth, qui leur faisaient secouer tristement la tête à ces Anglais, qui
les tiraient de leur taciturnité, qui les obligeaient d'allonger leurs
monosyllabes.
La lutte contre l'Angleterre a rendu à la France, nous l'avons dit
plus haut, un immense service. Elle a confirmé, précisé sa nationalité. A force
de se serrer contre l'ennemi, les provinces se sont trouvées un peuple. C'est
en voyant de près l'Anglais, qu'elles ont senti qu'elles étaient France.
Il ne fallait pas moins pour nous
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