Notre France, sa géographie, son histoire
à satisfaire le besoin de la réalité,
l'exigence des sens. Les arts du dessin viennent au secours. La sculpture
commence en France même avec le fameux disciple de Michel-Ange, Jean de
Boulogne. L'architecture aussi prend l'essor ; non plus la sobre et sévère
architecture normande, aiguisée en ogives et se dressant au ciel, comme un vers
de Corneille ; mais une architecture riche et pleine en ses formes.
L'ogive s'assouplit en courbes molles, en arrondissements voluptueux. La courbe
tantôt s'affaisse et s'avachit, tantôt se boursoufle et tend au ventre. Ronde
et onduleuse dans tous ses ornements, la charmante tour d'Anvers s'élève
doucement étagée, comme une gigantesque corbeille tressée des joncs de
l'Escaut.
Ces églises, soignées, lavées, parées, comme une maison flamande,
éblouissent de propreté et de richesse, dans la splendeur de leurs ornements de
cuivre, dans leur abondance de marbres blancs et noirs. Elles sont plus propres
que les églises italiennes, et non pas moins coquettes. La Flandre est une
Lombardie prosaïque, à qui manque la vigne et le soleil. Quelque autre chose
manque aussi ; on s'en aperçoit en voyant ces innombrables figures de bois
que l'on rencontre de plain-pied dans les cathédrales ; sculpture
économique qui ne remplace pas le peuple de marbre des cités d'Italie 2 . Par-dessus ces églises, au
sommet de ces tours, sonne l'uniforme et savant carillon, l'honneur et la joie
de la commune flamande. Le même air joué d'heure en heure pendant des siècles,
a suffi au besoin musical de je ne sais combien de générations d'artisans, qui
naissaient et mouraient fixés sur l'établi.
Le pauvre tisserand, aux caves les plus noires de Lille était illuminé
du carillon ami, de son joyeux concert qui sonnait : « Sois gai et
sois fier ! Travaille et sois gai !... Allons ! tisse
encore ! ta journée avance ; encore un quart et c'est
fini !... »
L'instinct musical s'est développé d'une manière remarquable, surtout
dans la partie wallonne..
En Flandre, la musique et l'architecture sont trop abstraites encore.
Ce n'est pas assez de ces sons, de ces formes ; il faut des couleurs, de
vives et vraies couleurs, des représentations vivantes de la chair et des sens.
Il faut dans les tableaux de bonnes et rudes fêtes, où des hommes rouges et des
femmes blanches boivent, fument et dansent lourdement (Voir au Musée du Louvre
le tableau intitulé : Fête Flamande ).
Au delà de l'Escaut, au milieu des tristes marais, des eaux profondes,
sous les hautes digues de Hollande, commence la sombre et sérieuse
peinture ; Rembrandt et Gérard Dow peignent où écrivent Erasme et Grotius.
Mais dans la Flandre, dans la riche et sensuelle Anvers, le rapide pinceau de
Rubens fera les bacchanales de la peinture. La belle suite des tableaux
commandés par Marie de Médicis, peinture allégorique et officielle, ne donne
point la fougue de son génie.
Quand le duc de Bourgogne, frère de Charles V épousa l'héritière des
comtés de Flandre, d'Artois, de Rethel, de Nevers et de Franche-Comté, le roi
fit le sacrifice de rendre aux Flamands Lille et Douai, la Flandre française,
la barrière du royaume au nord, espérant que dans cette alliance la France
absorberait la Flandre (1400). Il n'en fut pas ainsi. La distinction resta
profonde, les mœurs différentes, la barrière des langues immuable ; la
langue française et wallonne ne gagna pas un pouce de terrain sur le flamand.
La riche Flandre ne devint pas un accessoire de la pauvre Bourgogne. Ce fut le
contraire. La Flandre continua à regarder vers l'Angleterre. L'alliance
commerciale avec l'Angleterre faisait la richesse du pays.
Quand la maison de Bourgogne s'éteignit par la mort de Charles le
Téméraire et de sa fille Marie, les Flamands s'empressèrent, de nous rendre les
possessions françaises qui, sous le feu duc, n'avaient servi qu'à tourmenter la
Flandre. S'ils avaient pu encore donner le Hainaut et Namur et tous les pays
wallons, ils l'eussent fait volontiers afin d'avoir, désormais, des comtes de
Flandre paisibles et raisonnables.
Que ce pays ait contenu, néanmoins, tant de germes de troubles, on
pourrait, dès lors, s'en étonner. La Flandre est le pays du travail, et le
travail vaut la paix. Elle l'eût gardée cette paix, si les grandes villes
fussent restées amies. Dans la dispute qui
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