Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
était que le récit de Colvin risquait d’être « si
inexact qu’il en serait dangereux ». L’inverse était vrai : le danger
du récit de Colvin était sa probable exactitude, et plus particulièrement la
crainte qu’il révèle la façon dont les diplomates britanniques avaient trompé
le gouvernement espagnol et comment Bentley Purchase avait produit un cadavre
sur simple demande. Les gardiens du secret officiel savaient qu’ils pouvaient
corriger et modeler ce que Montagu allait écrire. Ce serait une « version
contrôlée, dans laquelle des points délicats pouvaient être modifiés »,
tandis que, d’après Montagu, Colvin n’était « sous le contrôle ou
l’influence de personne ». Si l’histoire de l’opération Mincemeat devait
être racontée, elle le serait d’une façon qui ne contrarierait pas les
Espagnols et qui ne révèlerait pas la manière dont le corps avait été obtenu.
Lorsqu’il écrivit à John Godfrey, Montagu fut assez
explicite à propos des termes de son contrat avec les censeurs des services de
renseignement : il ne révélerait pas d’informations secrètes, et surtout
pas d’interceptions Ultra, et il n’écrirait rien qui risquait d’embarrasser les
ministères des Affaires étrangères ou de l’Intérieur. « Le retour qu’en
eut le pays était donc non seulement la protection de “nos sources”, mais aussi
les deux autres points assez importants », à savoir, taire le rôle de
Haselden et de Hillgarth en Espagne et celui de Purchase à Londres. Le journal
pouvait corriger la publication en feuilleton, mais la version finale devra
être approuvée par les services secrets avant publication : « L’ Express devra soumettre pour approbation tout ce qui pouvait être ajouté et toutes les
corrections apportées. » L’histoire de l’opération Mincemeat sera une
publication officielle à tous points de vue, sauf dans son titre.
Montagu affirma avoir écrit sa version pendant le week-end,
l’espace de quarante-huit heures « avec beaucoup de café noir et sans
sommeil » pour l’apporter au journal le lundi 24 janvier. En fait, un
brouillon avait déjà été écrit, approuvé par les autorités et envoyé au Sunday
Express , trois semaines au moins avant la date butoir imposée par le
journal. Le 8 janvier, Montagu écrivit à Jean Gerard Leigh (« ou était-ce
“Pam” ? »), l’avertissant que son livre allait être publié :
« Il a été décidé qu’un récit précis de ma main et “sous contrôle” serait
moins dangereux qu’un récit imprécis dont les répercussions étaient
imprévisibles. » Montagu demanda à Jean son autorisation d’utiliser sa
photographie pour « Pam » : « Nous ne voulons pas modifier
ce genre de choses, car nous voulons pouvoir affirmer que c’est la
vérité. » Montagu l’assura qu’elle serait uniquement identifiée comme
« une fille travaillant dans ma section ». Au même moment, Montagu
envoya une lettre à Bill Jewell pour l’informer que « Mincemeat allait
bientôt être publié » et que son ébauche avait été approuvée par
Whitehall. « Ma version a été examinée et approuvée, écrivit-il. Je
pensais qu’il était préférable que tu ne sois pas surpris. »
Jewell n’émit aucune objection, mais Jean était
inquiète : « J’ai été très intéressée d’apprendre que des parties de
ton passé douteux et celui de Bill sont sur le point d’être révélés à un public
sans défiance, écrivit-elle. Mais que dois-je répondre si quelqu’un voit à
travers les ravages du temps et m’identifie à Pam !?… Peut-être devrais-tu
venir boire un verre un soir pour me “tenir au courant” si ce n’est pas trop
tard. » Montagu suggéra que si quelqu’un faisait le lien et posait des
questions sur ce qu’elle avait fait pendant la guerre, « tu répondras
simplement que tu travaillais dans une branche du ministère de la
Guerre ».
Charles Cholmondeley ne voulait rien savoir du projet. En
tant qu’officier du MI5, il refusait d’être nommé, mais sa réticence naturelle
empêchait sa participation. Deux ans plus tôt, au moment de la sortie d’ Opération
Heartbreak , Montagu avait émis l’idée qu’ils écrivent un livre ensemble.
Maintenant, il proposait à son ancien partenaire 25 % des bénéfices tirés
« du livre, des droits cinématographiques ou des utilisations faites de
l’histoire ». La réponse de Cholmondeley fut polie,
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