Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
plus fréquents qu’en temps de paix, mais ils se
faisaient plutôt par pendaison, par inhalation de gaz, par empoisonnement avec
des médicaments ou par d’autres moyens facilement détectables lors d’une
autopsie. En outre, les besoins étaient très précis : le plan demandait un
corps masculin d’âge militaire, sans blessure ou infirmité apparente, et une
famille coopérative, qui ne verrait pas d’objection à ce que la dépouille de
l’être aimé leur soit enlevée à des fins non spécifiées et à ce qu’elle soit
emportée vers un lieu inconnu par de parfaits étrangers. Montagu demanda
conseil à une personne qui en savait plus sur la mort que n’importe quel être
vivant.
Cette personne était Sir Bernard Spilsbury, médecin
légiste en chef au Home Office, le ministère de l’Intérieur, expert lors de
nombreux procès célèbres et pionnier de la science récente de la médecine
légale. Sir Bernard collectionnait les morts comme d’autres
collectionnaient les timbres ou les livres. Pendant un demi-siècle, jusqu’à sa
propre disparition mystérieuse en 1949, Spilsbury étudia des morts ordinaires
et extraordinaires, exécutant quelque 25 000 autopsies : il
analysa la mort par asphyxie, par empoisonnement, par accident et par meurtre
et il nota les spécificités de chaque cas, de son écriture en pattes de mouche,
sur des milliers de fiches bristol, posant les fondations de l’investigation
moderne des scènes de crime.
Spilsbury se fit connaître du grand public à l’occasion de
la tristement célèbre affaire du D r Crippen, en 1910. Quand le
D r Hawley Harvey Crippen, originaire du Michigan, fut arrêté
alors qu’il tentait de fuir vers l’Amérique du Nord avec sa maîtresse, c’est
Spilsbury qui, à partir d’un tissu cicatriciel distinctif sur un fragment de
peau, identifia le corps enterré dans une cave, à Londres, comme étant celui de
la femme de Crippen, Cora, portée disparue. Crippen fut pendu en 1910. Au cours
des trois décennies suivantes, Spilsbury témoigna devant les tribunaux à
travers tout le pays, défendant l’opinion de la Couronne sur un ton clair,
précis, à la rectitude morale irréprochable. Les journaux aimaient le montrer
sous les traits d’un homme droit et élégant dans le box des témoins, associant
assurance scientifique et sens moral typiquement édouardien. Comme l’un de ses
contemporains l’observait, Spilsbury était l’instrument du châtiment à lui tout
seul : « il pouvait accomplir sans peine toutes les tâches légales
consécutives à l’homicide – l’arrestation, la procédure judiciaire, la
condamnation et l’autopsie, demandant uniquement la brève assistance du
bourreau ». Devant la cour, il se révéla un grand orateur, sachant faire
preuve de concision, n’employant jamais trois mots lorsqu’un seul suffisait.
« Il se forgeait une opinion ; l’exprimait de manière aussi claire et
succincte que possible ; puis s’y tenait contre vents et marées. »
Avant Spilsbury, le bien-fondé scientifique et médical de la
médecine légale était sujet à caution. Pourtant, en 1943, il avait déjà
contribué à transformer l’étude des cadavres – ou « science
abominable », comme elle était surnommée – en une spécialisation
scientifique à la fois morbide et séduisante. Dans le même temps, il acquit la
réputation de se servir de lui-même comme cobaye. Spilsbury inhalait du
monoxyde de carbone pour en tester les effets sur le corps humain et prenait
des notes sur ses sensations (qui étaient désagréables). Il descendit dans une
bouche d’égout sur Redcross Street pour vérifier quel gaz avait tué un ouvrier.
Lorsqu’il ingéra accidentellement le microbe de la méningite dans un
laboratoire d’hôpital, il « fit comme si de rien était ». On raconte
que Sir Bernard pouvait identifier la cause de la mort simplement en
reniflant un cadavre. En 1938, le Washington Post le salua comme
« le Sherlock Holmes moderne d’Angleterre ».
Mais une vie passée à respirer la mort, à observer des
cadavres et à côtoyer les faces les plus sombres de la nature humaine avait
affecté le grand scientiste. L’attention des médias lui était montée à la tête.
Sir Bernard était distant, arrogant et profondément convaincu de son
infaillibilité. Il regardait le monde d’un œil sinistre, à travers un voile de
cynisme et d’autosatisfaction et montrait rarement la moindre
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