Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
fonctionnement
du foie de sorte qu’il mourut peu de temps après. » Le coroner expliqua que le corps humain contient habituellement des traces de phosphore et
que celui-ci « n’est pas un poison traçable passé une longue période,
contrairement à l’arsenic qui envahit la racine des cheveux, ou la
strychnine ». La mort aux rats laisse peu d’indices sur la cause de la
mort, « hormis peut-être quelques vagues traces d’action chimique sur le
foie ». Parvenir à déterminer l’origine du décès après un séjour dans
l’eau nécessiterait de faire appel à « un chimiste médico-légal hautement
qualifié qui devrait doser la composition chimique de tous les organes avant de
pouvoir tirer une quelconque conclusion ». Purchase, qui aimait bien jouer
aux courses, était prêt à « parier gros que personne ne sera capable de
déterminer la cause du décès avec suffisamment de certitude pour nier la
présomption que l’homme était mort de noyade ou des suites du choc de la
catastrophe aérienne, puis qu’il avait été immergé dans l’eau ».
Préférant entendre une seconde opinion, ayant plus de poids,
Montagu se tourna une fois de plus vers Sir Bernard Spilsbury, le chimiste
médico-légal à la renommée internationale. Ils se rencontrèrent à nouveau au Junior
Carlton Club . Le verdict de Sir Bernard était aussi sec que son
sherry : « Vous n’avez rien à craindre d’une autopsie
espagnole ; pour déceler que ce jeune homme n’était pas mort des
conséquences de la disparition d’un avion en mer, il faudrait un médecin
légiste ayant mon expérience – et il n’y en a pas en Espagne. »
La réponse de Spilsbury était caractéristique du
personnage : sûr de lui, laconique, mais aussi (et cela valait de plus en
plus pour les déclarations hautaines de Sir Bernard) discutable. En effet,
Sir Bernard Spilsbury n’était plus l’oracle de la médecine légale qu’il
avait été autrefois ; loin d’être infaillible, il avait commencé à
commettre de terribles erreurs. Aujourd’hui, même son témoignage dans l’affaire
Crippen est remis en cause. Profondément convaincu de sa propre rectitude et
perclus de préjugés, Spilsbury contribua à envoyer 110 hommes à la
potence. On a su par la suite que certains étaient parfaitement innocents. Ses
théories et ses opinions prévalaient de plus en plus souvent sur les faits,
comme l’a notamment montré le cas de Norman Thorne, condamné à mort pour
l’assassinat de sa fiancée. La femme s’était fort probablement suicidée et les
preuves étaient au mieux contradictoires. Mais Spilsbury avait déposé un
témoignage inébranlable, malgré la vague de protestations qui s’était soulevée
à l’encontre de la soi-disant « expertise » d’un seul homme qui
envoyait un présumé innocent à la potence. « Je suis un martyr du
spilsburisme », déclara Thorne, peu avant son exécution.
Dans les années 1940, la réputation de Spilsbury avait
commencé à décliner ; son mariage partait à vau-l’eau et son flair
légendaire avait commencé à lui faire défaut. Il était surchargé de travail et,
en 1940, il fit une légère congestion cérébrale. La mort de l’un de ses fils
pendant le Blitz l’affecta profondément. Les réponses qu’il apporte aux
questions de Montagu présentent toutes les caractéristiques de ses derniers
jours : catégoriques mais contestables, et potentiellement très
dangereuses.
Parvenir à déterminer qu’un individu est mort par noyade ou
par d’autres causes est l’un des dilemmes médicaux les plus anciens et les plus
difficiles à résoudre. Au XIII e siècle, un livre intitulé The
Washing Away of Wrongs, écrit par un physicien chinois, traite de l’épineux
problème des allégations de mort par noyade. Aujourd’hui encore, la communauté
médicale ne dispose pas de moyens totalement fiables pour déterminer les cas de
noyade. Spilsbury lui-même avait eu l’occasion d’étudier la pathologie de la
noyade dans l’affaire spectaculaire des « jeunes mariées dans leur
baignoire », datant de 1915, où George Joseph Smith, escroc et polygame,
était accusé d’avoir assassiné au moins trois de ses épouses. Dans chaque cas, la
victime avait été retrouvée dans son bain. Spilsbury fit exhumer les corps et
entreprit de démontrer qu’elles n’avaient pas pu mourir de causes naturelles.
Au tribunal, il ne lui fallut que vingt minutes pour
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