Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
lorsqu’ils se transforment
en glace, endommageant les fragiles tissus mous. Ces lésions deviendraient trop
évidentes à la décongélation du corps. La morgue de St-Pancras était équipée
d’un « réfrigérateur extra-froid » dont la température pouvait être
baissée à quatre degrés centigrades, ce qui est suffisant pour retarder
substantiellement la décomposition, mais pas assez pour la bloquer entièrement.
Le cadavre de Glyndwr Michael commençait déjà à pourrir. Si l’on voulait que le
corps soit encore présentable, avertit Purchase, il « faudrait l’utiliser
dans les trois prochains mois ».
Avant de pouvoir lancer officiellement l’opération, il
fallait lui trouver un nouveau nom de code. « Cheval de Troie »
convenait comme désignation initiale, mais si un agent allemand tombait dessus,
il serait immédiatement sur ses gardes, soupçonnant une forme de canular. Les
noms de code étaient compilés par le Comité de sécurité interservices
(Inter-Services Security Board ou ISSB) pour désigner les moindres aspects de
la guerre : pays, villes, plans, sites, unités militaires, opérations,
réunions diplomatiques, lieux, personnes et espions, tout était dissimulé sous
de fausses dénominations. En théorie, ces noms de code étaient neutres et
indéchiffrables, tels des raccourcis pour les initiés, et délibérément vides de
sens pour les profanes. Des listes aléatoires de noms de code étaient produites
par série de dix classés par ordre alphabétique, puis choisis au hasard au gré
des besoins ; six mois après être tombé en désuétude, un nom de code était
réaffecté dans un stratagème délibéré visant à brouiller les pistes.
Churchill avait une politique clairement définie concernant
le choix des noms de code pour les grandes opérations : « Il ne
faudrait par leur donner le nom d’un personnage frivole, comme “Bunnyhug” et
“Ballyhoo” », décréta le Premier ministre. « Une réflexion
intelligente ne manquerait pas de fournir un nombre illimité de noms agréables
à entendre qui ne dévoilerait pas la nature de l’opération et qui ne ferait pas
dire à une veuve ou à une mère que son fils a été tué dans une opération nommée
“Bunnyhug” ou “Ballyhoo” ».
Toutefois, la règle imposant que les noms de code soient
dépourvus de sens était régulièrement ignorée, car les espions avaient du mal à
résister à la tentation d’inventer des jeux de mots ou de glisser des allusions
dans les dénominations de leurs projets les plus secrets. L’agent « Tate »
avait été nommé ainsi à cause de sa ressemblance avec l’artiste de music-hall
Harry Tate ; le criminel Eddie Chapman a été surnommé
« Zigzag », car personne ne pouvait prédire de quel côté il allait
tourner ; Staline, dont le nom signifie « homme d’acier », était
désigné par le nom de code « Glyptic », une glyptique étant
« une image taillée dans la pierre ». Les Allemands étaient encore
plus fautifs dans ce domaine. Leur système de radar à longue portée était nommé
« Heimdall » d’après le nom du dieu scandinave qui avait la vue très
perçante ; le débarquement prévu en Angleterre portait le nom de code
« Sealion » (Lion de mer), une référence évidente aux fauves qui
ornent les armoiries royales et à l’offensive maritime.
Montagu était particulièrement virulent envers la
« stupidité » de l’Abwehr quant au choix de noms de code
révélateurs : le nom de code de l’Angleterre, soulignait-il, était
« Golfplatz », signifiant parcours de golf, tandis que les États-Unis
étaient « Samland », le pays de l’Oncle Sam. Pourtant, Montagu
enfreint sa propre règle, stipulant que les noms de code devaient être
attribués de façon à ce qu’« aucune déduction ne puisse en être
tirée » et il choisit un nom qui avait déjà été utilisé pour une opération
de pose de mines en 1941 et qui était à nouveau disponible.
Le plan Cheval de Troie devint l’« opération
Mincemeat » (Chair à pâté). Ce choix ne devait rien au hasard. Les longues
discussions à propos des cadavres commençaient à produire leur effet et le
« sens de l’humour [de Montagu] avait commencé à virer au macabre ».
Un nom de code faisant référence à de la viande froide semblait parfaitement
adapté et de « bon augure ». Il n’y avait pas de risque qu’une mère
éplorée ne se plaigne que son
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