Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
l’histoire serait
convaincante », songeait Montagu, car « les moindres détails seraient
étudiés par les Allemands ».
Les informations transportées devront être crédibles, mais
aussi lisibles. « L’encre des lettres manuscrites et les signatures des
autres courriers ne risquaient-elles pas de couler et de rendre les documents
illisibles ? » s’interrogeait Montagu. On pourrait utiliser de
l’encre indélébile, mais cela risquerait de « vendre la mèche ». Ils
consultèrent les scientifiques du MI5 et de nombreux tests furent exécutés en
utilisant différentes encres et machines à écrire, puis en immergeant les
lettres dans de l’eau de mer pendant des durées plus ou moins longues. Les
résultats étaient encourageants : « De nombreuses encres s’effacent
immédiatement quand une lettre est plongée dans l’eau alors qu’elle vient
d’être écrite. En revanche, beaucoup d’encres ordinaires, une fois parfaitement
sèches, résistent à l’eau, même si elles y sont exposées directement. Quand un
document se trouve dans une enveloppe ou dans un portefeuille, à l’intérieur
d’une poche, les encres ordinaires parfaitement sèches restent souvent lisibles
pendant une durée étonnement longue – suffisante pour nos besoins
actuels. »
La forme exacte de la désinformation sera définie
ultérieurement : il fallait d’abord créer une correspondance crédible. Ce
n’est pas par hasard que Montagu et Cholmondeley étaient tous deux amateurs de
lecture. Les plus grands écrivains de livres d’espionnage ont presque tous
travaillé dans le renseignement avant de se tourner vers l’écriture. Somerset
Maugham, John Buchan, Ian Fleming, Graham Greene, John le Carré : ces
écrivains ont tous une expérience de première main du monde de l’espionnage. En
effet, la tâche de l’espion n’est pas si différente de celle du
romancier : il lui faut créer un monde imaginaire crédible, puis y attirer
autrui par ses mots et divers artifices.
Comme s’ils construisaient un héros de roman, Montagu et
Cholmondeley, avec l’aide de Joan Saunders de la section AM, entreprirent
de créer une personnalité pour en habiller leur cadavre. Des heures durant, au
sous-sol de l’Amirauté, ils discutèrent de ce personnage imaginaire, lui
attribuant des goûts, des habitudes et des passe-temps, des qualités et des
défauts. Le soir, ils allaient à la Gargoyle (la gargouille), un club
décadent de Soho dont Montagu était membre, pour poursuivre l’exercice dont ils
étaient maintenant coutumiers : créer un homme de toutes pièces. Le projet
reflétait toutes les possibilités et les écueils de la fiction : si la
personnalité était trop haute en couleur ou si le portrait n’était pas
cohérent, les Allemands détecteraient immanquablement la supercherie. S’il
était possible de rendre cet officier britannique crédible aux yeux de
l’ennemi, les documents qu’il transportait n’en seraient que plus authentiques.
Les conspirateurs finirent même par croire eux-mêmes à l’existence de leur
héros. « Nous parlions tant de lui que nous finîmes par le considérer
comme un vieil ami, écrivit Montagu. Il devint vrai à nos yeux. » Ils lui
donnèrent un deuxième prénom, une addiction à la nicotine et un lieu de
naissance. Ils lui donnèrent un foyer, un grade, un régiment et une passion
pour la pêche. On lui fournirait une montre, un banquier, un notaire et des
boutons de manchettes. Ils lui donnèrent tout ce qui avait manqué à Glyndwr
Michael au cours de sa vie de malheurs : une famille attentionnée, de
l’argent, des amis et l’amour.
Mais d’abord, il lui fallait un nom et, surtout, un
uniforme. Dans un premier temps, il était prévu que le corps serait celui d’un
officier de l’armée de terre transportant des messages importants aux huiles
d’Afrique du Nord. Un officier de l’armée de terre portait sa tenue de combat,
qui était son uniforme ordinaire, plutôt qu’un uniforme d’apparat. Les
officiers n’emportent pas de papiers d’identité avec une photo lorsqu’ils
voyagent à l’étranger, ce qui évitait d’avoir à se procurer une photo
d’identité de Glyndwr Michael. Toutefois, le directeur du service de
renseignement militaire fit remarquer que si le messager était un officier de l’armée
de terre, la découverte du corps devrait être signalée à l’attaché militaire
basé à Madrid, et les informations seraient
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