Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
étaient « réputés
suspects d’une manière ou d’une autre » (le mot « autre » en dit
long). À l’homme du MI6 à Sofia, Vivian écrivit : « La raison de
notre timide intérêt pour ces personnes peut vous paraître assez bizarre. Ils
écrivent de longues lettres à Ivor Montagu sur le tennis de table et sur les
essais de balles. Montagu est évidemment connu pour être passionné de
ping-pong, au cœur de l’Internationale du tennis de table, mais même en
Angleterre, qui ne brille pas pour son bon sens dans ce domaine, nous avons du
mal à croire qu’un gentleman puisse passer des semaines à tester des balles de
tennis de table. »
La réponse reçue de Bulgarie fut décevante : « La
police bulgare n’a rien dans ses registres… sur un plan superficiel, on en
conclurait que Mechlovits et Bodanszky sont des individus parfaitement sains
qui passent leur temps à tester des balles de tennis de table. » La
correspondance d’avant-guerre entre Ivor et Fritz Zinn, trésorier de
l’Association allemande de tennis de table, est une autre source de tracas.
L’échange de lettres traitait de la « balle Hanno » et de « certains
tendeurs de filet ». Il était aussi mentionné que Zinn divorçait et qu’il
était « soupçonné d’être à la tête d’un club de jeu illégal ». Se
pouvait-il que Hannoball soit le nom de code d’une arme secrète ?
Ivor Montagu envoyait-il des messages secrets à ses contacts bulgares et
allemands sous le prétexte innocent du sport ? Se pouvait-il que Montagu
et ces mystérieux étrangers « utilisent le canal du tennis de table
international pour cette pièce étrange d’espionnage interne » ?
Vivian était déterminé à mettre fin à l’énigmatique conspiration du tennis de
table. « Je sais que cela paraît dérisoire, écrivit-il, mais quand on y
regarde de plus près, c’est plutôt déroutant. »
Vivian n’était pas le seul à penser qu’un homme qui passait
tant de temps à parler de tennis de table était probablement un espion. Quand
il pénétra pour la première fois à l’intérieur du cercle du renseignement
britannique, Ewen Montagu s’était attendu à ce que le MI5 fouille dans son
passé et découvre les penchants communistes d’Ivor. « Je ne faisais pas
une grande confiance aux registres du MI5. Je pensais qu’ils risquaient de me
confondre avec mon jeune frère communiste. » Il n’avait pas complètement
tort. Un jour, John Masterman se pencha au-dessus de la table pendant une
réunion du Comité XX et demanda à Montagu, l’air de rien :
« Comment ça va au tennis de table ? » Masterman avait mené sa
propre enquête sur les frères Montagu et était au courant des investigations du
colonel Vivian sur la Fédération internationale du tennis de table.
« C’est mon petit frère communiste, répondit Montagu. C’est lui le
créateur du tennis de table, pas moi. » Montagu supposa que Masterman
avait simplement commis l’erreur de confondre les deux frères. Mais le
professeur d’Oxford ne commettait jamais d’erreur : il tâtait le terrain
pour voir si son collègue du Comité XX faisait partie de ce sinistre
réseau du tennis de table.
Vivian avait raison, évidemment, mais il avait aussi
profondément tort. Ivor Montagu espionnait bien pour le compte de
l’Union soviétique, en tant qu’agent Intelligentsia, et il continua pendant
toute la durée de la guerre, sans être inquiété. En revanche, son intérêt pour
le tennis de table n’avait rien d’étrange ni de mal intentionné. Il aimait tout
simplement ce sport. Même les officiers du MI5 peuvent perdre un peu la tête à
force d’être obnubilés et ils finissent par imaginer des ombres là où il n’y en
a pas. Comme Freud le dit un jour, alors qu’on l’interrogeait sur la
signification de sa pipe omniprésente : « Parfois une pipe n’est qu’une
pipe. » Et parfois, une balle de tennis de table n’est qu’une balle de
tennis de table.
Alors que la date de lancement de l’opération Mincemeat
approchait, Cholmondeley et Montagu couraient dans tout Londres pour essayer de
régler les derniers détails. Le Premier ministre avait approuvé le plan et le
HMS Seraph attendait. L’opération ne pouvait plus être arrêtée, mais
quelques sérieux problèmes n’avaient pas encore été résolus : des
solutions seraient trouvées pour chacun d’entre eux, mais aucune n’était
totalement satisfaisante.
On
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