Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
demande de visa pour visiter l’URSS
en tant que journaliste accrédité par le Daily Worker . La demande fut
rejetée sur l’insistance du MI5. « Il ne semble pas souhaitable
d’autoriser le Parti communiste à faire voyager un messager de ce pays jusqu’à
Moscou… un membre du Parti communiste de cet acabit ne devrait pas être
autorisé à quitter le pays. C’est une chose d’autoriser le Daily Worker à mener sa propagande de guerre dans ce pays, mais s’en est une autre de
faciliter l’envoi à l’étranger de correspondants de ce journal dans le but de
favoriser la propagande. » Ivor se plaignit du refus de sa demande à un
député de gauche qui aborda le sujet devant le Parlement, exigeant de savoir
« si ce refus était personnellement adressé à M. Montagu, si moi je
pouvais être autorisé à y aller, ou s’il indiquait de l’hostilité envers la
Russie ? »
Ivor s’était ouvertement et avec véhémence opposé à la
guerre, mais lorsque l’Union soviétique se retrouva empêtrée dans le conflit
contre l’Allemagne, il s’était déclaré prêt à se battre. « Je me suis
inscrit et je suis prêt à m’enrôler et j’espère que si je suis pris, je ferai
un bon soldat », déclara-t-il à la branche Woolwich-Plumstead du Congrès
anti-guerre. Ces mots furent immédiatement rapportés au MI5. Ivor fut appelé en
1941, mais ses papiers d’incorporation furent immédiatement révoqués, étant
« peu souhaitable qu’il soit autorisé à servir dans les forces armées de
son pays ».
« Je suppose qu’ils ont vérifié ton passé », dit
l’un de ses amis communistes en blaguant. Comme Ivor était sur écoute
téléphonique, ces propos furent rapportés au MI5.
À cette époque, Ivor avait emménagé avec sa famille dans le
village de Bucks Hill dans le Hertfordshire, au désespoir de son officier
traitant soviétique : « INTELLIGENTSIA vit en province et il est
difficile de le contacter. »
Ivor Montagu était à découvert et débraillé. Il rencontra
Sylvia Pankhurst, la suffragette ; il écoutait les nouvelles de
l’étranger, dénigrait l’équipement sportif britannique, faisait la promotion
des films soviétiques, fréquentait des acteurs et des réalisateurs de gauche et
lisait des livres. Elfriede Stoecker, une Allemande, réfugiée juive, vivait
dans sa maison. Pour le MI5, c’était on ne peut plus suspect. Les officiers du contre-espionnage
voyaient des signes de trahison dans tous les faits et gestes d’Ivor
Montagu : ses fréquentations, son apparence, ses opinions et son
comportement. Mais surtout, ils en virent dans son amour passionné, et suspect,
du tennis de table.
La suspicion que l’intérêt d’Ivor pour le ping-pong déguisât
d’obscurs desseins était surtout nourrie par le colonel Valentine Vivian, grand
chasseur d’espions communistes auprès des services secrets britanniques.
Vivian dirigeait la section V, l’unité du contre-espionnage
du MI6 avant de devenir sous-chef du SIS, chargé du poste de guerre du MI6 à
Bletchley Park. Au cours de sa longue carrière dans le renseignement, Vivian
consacra une grande partie de son énergie, et celle de la section V, à la
lutte contre les communistes anglais et le Komintern, qu’il considérait
« comme une conspiration criminelle plus qu’un mouvement politique
clandestin ». Il était profondément, voire fanatiquement, obsédé par les
activités d’Ivor Montagu, suspectant, à juste titre, que ce rejeton de la haute
société n’était pas seulement un compagnon de route. Mais des années de
surveillance intense, passée à ouvrir son courrier, à écouter ses
conversations, à le suivre et à le photographier, n’avaient jusqu’à présent
produit que des preuves indirectes de ses magouilles. Le colonel Vivian était
convaincu que l’enthousiasme d’Ivor Montagu pour le ping-pong était une
couverture pour des activités beaucoup moins plaisantes.
De nombreuses lettres interceptées – un nombre beaucoup
trop important pour être honnête aux yeux des intercepteurs – étaient
liées à la fourniture d’équipement de tennis de table par des étrangers. Deux
Bulgares, Zoltán Mechlovits et Ivor Bodanszky, lui écrivaient régulièrement et
de manière ostensible sur les arcanes du jeu, le potentiel d’effet des
différents types de balles et le poids optimal de la raquette. Vivian donna
l’ordre d’enquêter sur les Bulgares pour découvrir s’ils
Weitere Kostenlose Bücher