Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale

évidemment une chance que le
plan échoue et que le pot aux roses soit découvert. Le cadavre pouvait ne
jamais s’échouer sur la plage ou, s’il le faisait, les Espagnols pouvaient le
remettre aux autorités britanniques locales sans prendre les papiers
décisifs. »
    Le Premier ministre lui répondit avec la concision qui lui
était coutumière : « Dans ce cas, nous récupérons le corps et nous
lui ferons prendre un autre bain. »
    Churchill avait donné son feu vert, mais à une
condition : avant que l’opération Mincemeat ne puisse continuer, il
fallait obtenir l’accord du général Eisenhower, dont le débarquement en Sicile
serait profondément affecté par le succès ou l’échec du plan. Laissant
Churchill finir son cigare au lit, Bevan retourna aux bureaux de la London
Controlling Section et rédigea rapidement un télégramme chiffré top secret,
sous le nom de code « Chaucer », à Eisenhower au quartier général
avancé à Alger. La réponse arriva dans les heures qui suivirent :
« Le général Eisenhower approuve sans réserve MINCEMEAT. »

10

Le traître au tennis de table
    Parmi la poignée de personnes qui étaient dans le secret,
certains se réjouirent discrètement. La mauvaise humeur de Montagu
s’estompa : « Je deviens de plus en plus optimiste, dit-il à Iris. Au
moment où tu liras ces lignes, nous devrions avoir exposé le point faible de
Hitler (l’Italie) pour l’offensive et les calamités ne devraient plus durer
très longtemps. » Aussi surprenant que cela puisse paraître, cette
référence non dissimulée à des plans de guerre passa la censure.
« Mincemeat a démarré », écrivit Guy Liddell, chef du contre-espionnage
au MI5, dans son journal. « Le plan Mincemeat a été approuvé par le
Premier ministre. Les faux documents sont extrêmement réussis. »
    Liddell était à la tête de la section « B », la
branche des services de sécurité chargée de débusquer les espions ennemis et
les agents présumés : il surveillait les transfuges, les réfugiés
suspects, les agents nazis, les agents doubles, les sympathisants
prosoviétiques et, entre autres, Ivor Montagu. En effet, tandis que l’Honorable
Ewen était sur le point de lancer une prouesse d’espionnage des plus élaborées,
le comportement de l’Honorable Ivor suscitait une préoccupation grandissante, à
la fois au MI5 et au MI6.
    En mai 1942, le MI5 nota qu’Ivor était « en
contact étroit avec de nombreux Russes dans notre pays, y compris des membres
de l’ambassade, la Délégation Syndicale et l’agence TASS ». Les agents
infiltrés dans les manifestations pacifistes où Ivor faisait régulièrement des
allocutions, signalèrent qu’il était « un antinationaliste
incurable ». Un certain P. Wimsey (probablement un vrai nom) rédigea
un rapport dans lequel il déclarait que le 16 décembre 1942, Ivor
Montagu fit un discours lors d’une réunion des Amis de l’Union soviétique dans
lequel il clama que les « installations sportives étaient bien meilleures
en Russie qu’en Angleterre ». Ivor fut vu en train de déjeuner avec
Constantin Zinchenko, second secrétaire de l’ambassade soviétique, et
complotant avec des « hommes d’apparence indubitablement étrangère,
probablement russes ». Un vent de panique se mit à souffler lorsqu’il fut
vu près d’une installation secrète du Royal Observer Corps à Watford, mais
l’informateur ajouta qu’« il ne pensait pas que Montagu découvre quoi que
ce soit de secret à moins de pénétrer dans la base ». Étant donné
« son association avec les Russes de ce pays », le MI5 conclut,
« toute information d’importance arrivant en sa possession serait
certainement transmise ». M. Aiken Sneath (encore un nom trop
improbable pour ne pas être vrai) informa le MI5, sans produire de preuve, que
Montagu était « un membre actif de la Cinquième Colonne ». Ses
voisins furent encouragés à l’épier. Ils rapportèrent qu’« il était
toujours prompt à écouter les nouvelles de l’étranger » à la radio et
qu’« une cabane en bois au fond de son jardin était bien garnie de
livres ». Hell, la femme d’Ivor, partageait ses opinions politiques et
était aussi considérée comme une subversive potentielle. Il est probable que
Hell était au courant des activités secrètes d’Ivor et qu’elle y avait
contribué. Mais le MI5 n’en avait aucune preuve.
    En 1940, Ivor déposa une