Opération Mincemeat : L'histoire d'espionnage qui changea le cours de la Seconde Guerre mondiale
cible
d’une attaque aérienne.
Récemment nommé directeur des services de renseignement de
la Navy, au début de la guerre, Godfrey se souvint de Hillgarth et recommanda
sa promotion au rang d’attaché naval à Madrid. Cette nomination à un poste très
difficile et sensible était bien inspirée. L’Espagne occupait une place
charnière pour les intérêts britanniques en Méditerranée et à Gibraltar. Avec
la défaite de la France, des troupes allemandes se trouvaient aux portes de
l’Espagne. Franco était redevable à l’Italie et à l’Allemagne pour leurs
fournitures d’armes. Se rangerait-il du côté des puissances de l’Axe ?
S’il s’y refusait et si l’Espagne demeurait non-engagée, Hitler envahirait-il
le pays ? Hillgarth aurait pour rôle de combattre l’influence nazie, de
contrecarrer les efforts de sabotage allemands, d’empêcher les U-boats de
s’approvisionner en carburant et en vivres dans les ports espagnols et de
contrer la Phalange pro-Axe au sein du gouvernement de Franco. Avec Ian
Fleming, il participa à l’élaboration de la campagne de sabotage et de guérilla
qui serait déclenchée si l’Espagne était envahie et qui portait le nom de code
« opération Goldeneye » (nom que Fleming donnera par la suite à sa
villa à la Jamaïque). La politique britannique imposait une approche plus
nuancée et les rapports de Hillgarth montraient à quel point il comprenait ce
délicat équilibre : Hillgarth rapporta que Franco souhaitait préserver sa
neutralité et sa liberté d’action, mais « une victoire décisive de l’Allemagne
sur la Russie pourrait permettre à la Phalange de prendre le contrôle [et]
l’Espagne rejoindrait probablement l’Allemagne ».
Sir Samuel Hoare, un ancien loyaliste de Chamberlain,
nommé ambassadeur à Madrid par Churchill, joua ce jeu délicat au niveau
diplomatique. Hillgarth fit de même à un niveau souterrain, tout en coordonnant
simultanément les opérations du MI6, du SOE et de son propre réseau d’agents.
Dans tout cela, Hillgarth bénéficiait du soutien personnel de Winston Churchill
(ils avaient une personnalité très proche) qui le considérait comme un
« très bon » homme « équipé d’une profonde connaissance des
affaires espagnoles ». Le Premier ministre demanda à Hillgarth de lui
écrire « en privé à propos de tout ce qu’il jugeait digne
d’intérêt ». Ian Fleming partageait la haute opinion qu’avait Churchill de
Hillgarth et le décrivait comme un « type utile et un grand vainqueur de
la guerre ». Malgré des profils divergents, Hoare et Hillgarth
s’entendaient bien et coopéraient étroitement. L’ambassadeur le surnommait
« le dynamisme incarné ». En revanche, Kim Philby, qui dirigeait le
contre-espionnage au bureau ibérique du MI6 et qui se révéla plus tard être un
espion soviétique, détestait cordialement Hillgarth, pensant que le soutien de
Churchill, les « fonds secrets qui furent mis à sa disposition pour des
activités clandestines » et son accès direct à « C », Stewart
Menzies, à la tête du MI6, « avaient contribué à alimenter les illusions
de grandeur du vaillant officier ». Philby était particulièrement irrité par
la décision prise par Hillgarth de choisir « Armada » comme nom de
code, ce qu’il considérait comme plutôt ronflant.
Il est difficile de dire ce qui convenait mieux à
Hillgarth : l’admiration de Fleming et Churchill ou l’animosité de Philby.
Ce dernier aurait été encore plus en colère s’il avait connu l’étendue des
fonds mis à la disposition de Hillgarth pour pratiquer la corruption à une
vaste échelle. Adolf Clauss corrompait la police et les ouvriers des
docks ; Gómez-Beare payait « la police locale, les surveillants des
docks et les manutentionnaires ». Mais Hillgarth soudoyait les généraux.
Les forces armées espagnoles comptaient dans leurs rangs de
nombreux monarchistes patriotes, opposés à la Phalange fasciste, qui ne
voulaient pas devenir « des pièces interchangeables de la machine de
guerre de Hitler ». Hillgarth estimait que ces officiers n’avaient besoin
que d’un seul petit coup de pouce financier pour détourner Franco d’une
alliance avec Hitler et tenir l’Espagne à l’écart de la guerre. L’argent fut
remis aux généraux par l’intermédiaire de Juan March, un homme d’affaires de
Majorque, que Hillgarth connaissait depuis des années. March avait fait
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