Par le sang versé
prudemment et a éteint les phares. Il est possible qu’une patrouille soit déjà partie à leur recherche. À un kilomètre de la ville, il quitte le chemin et engage la jeep dans la forêt. Le véhicule parvient à parcourir une centaine de mètres avant d’être définitivement bloqué par la végétation. Ickewitz attache alors le Chinois au pare-chocs de la jeep ; les trois légionnaires s’emparent chacun de deux pesants jerricans et s’apprêtent à rejoindre Lang-Son, en coupant à travers bois.
Obéissant à une inspiration subite, Clary se retourne vers le Chinois entravé et déclare, menaçant :
« Écoute-moi bien ! Quand on t’interrogera, tu diras que nous étions des légionnaires. Tu me comprends bien : tous les trois nous avions des képis blancs, pas des calots. Si tu nous trahis on te retrouve et on te bute.
– Oui, oui, balbutie l’homme, prêt à jurer n’importe quoi. Des légionnaires, je dirai que vous étiez des légionnaires. »
Dès qu’ils se trouvent hors de portée de voix du Chinois, Fernandez apprécie, en connaisseur, l’astuce de Clary. Il formule pourtant une réserve :
« Et si il jouait le jeu ? Et qu’il prétende vraiment que nous étions fringués en légionnaires ?
– Sûrement pas. Et puis tu oublies les thabors et le vieux de la distillerie. De toute façon, ne t’inquiète pas, le Chinetoque s’allongera à la première baffe qu’il va prendre dans la gueule, et ça ne fera que renforcer notre alibi. »
Dès qu’ils sortent de la forêt et qu’ils aperçoivent les premières maisons de Lang-Son, les trois légionnaires se déchaussent et accrochent leurs pataugas autour de leur cou. Il est évident que l’alerte a été donnée, et que des patrouilles sillonnent toutes les ruelles.
« Ça va pas être du sucre, chuchote Clary, ça a l’air de barder vachement.
– T’as raison, vaut mieux se séparer ; rendez-vous au G. M. C. »
L’habitude et l’entraînement des trois hommes leur permettent, malgré leur chargement, de passer entre les mailles du filet et d’échapper aux patrouilles lancées à leur recherche. Ils se retrouvent pratiquement ensemble auprès du G. M. C. de leur section, dissimulent les jerricans d’alcool sous les banquettes et regagnent leur cantonnement. Les uniformes de la Coloniale disparaissent dans le sac de Clary et les trois complices rejoignent leurs lits de camp.
Il est près de quatre heures du matin ; dans une heure ce sera le réveil.
Tandis que les trois ivrognes sombraient dans un sommeil alourdi par l’alcool, la ville était réveillée par un gigantesque remue-ménage. Le colonel V…, commandant la zone et possesseur de la jeep volée, prenait lui-même en main la direction des opérations, entouré de plusieurs de ses officiers, et menait l’enquête avec fureur.
La jeep et le Chinois sont rapidement retrouvés. Et comme l’avait prévu Clary, l’homme débite tout ce qu’il sait, sans omettre la phrase finale.
« Ils m’ont fait jurer de mentir, mon colonel. Ils m’ont fait jurer de dire qu’ils avaient des déguisements de la Légion. Mais c’est faux, c’étaient des soldats de la Coloniale avec des calots bleus. Ils ont dit qu’ils me tueraient si je disais la vérité, mais je suis fidèle à l’Armée française et je sûr que vous les trouverez et que vous les empêcherez de mettre leur menace à exécution. »
Le colonel V… est irrité. Aucun doute à avoir sur les déclarations du Chinois. Elles corroborent les autres témoignages recueillis et établissent de façon incontestable que le coup a été perpétré par des hommes de son bataillon.
Des fouilles sont entreprises dans la nuit. Seules y échappent les unités de Légion étrangère qui sont jugées hors de soupçon.
Le rassemblement général a lieu à six heures trente. Tout le long de l’artère principale de Lang-Son, chaque groupe de Lé gion se tient, l’arme au pied, devant le véhicule qui lui a été attribué au départ d’Hanoï.
Le colonel V… commande le convoi. C’est un officier hautain, à l’allure altière. Il est grand, mince et porte avec élégance un uniforme de coupe remarquable. La veille il s’est fait présenter le capitaine Mattei, l’invitant à bord de sa jeep (la fameuse jeep) pour la randonnée du lendemain sur la R. C. 4 en direction de Cao-Bang.
D’entrée, Mattei l’a détesté. En revanche, le colonel qui a eu vent des faits d’armes du
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