Par le sang versé
les maîtres absolus du maquis.
Le grand affrontement de la guerre d’Indochine va commencer.
26.
L A région de Ban-Cao est l’une des plus propices à l’ennemi pour créer une concentration de forces. De fortes unités, excessivement mobiles, indécelables dans l’épaisseur de la jungle s’installent dans les montagnes et la forêt. L’abondance des bourgades isolées favorise l’éparpillement des viets qui, le cas échéant, peuvent se regrouper pour frapper. Pour lutter efficacement contre eux, Mattei a compris qu’il était indispensable d’obtenir le soutien des habitants des hameaux. Et c’est maintenant la tâche à laquelle il s’emploie. Il ne se leurre pas. La majorité de la population tonkinoise est idéologiquement du côté des rebelles, et le capitaine ne dispose que de faibles arguments pour rallier les autochtones à la cause française. Mais il sait que le Viet-minh se montre violent, cruel et sans pitié, à l’égard des paysans qui sont pillés, rançonnés, contraints de participer, bien au-dessus de leurs moyens, à l’effort de guerre, sous peine de se voir sauvagement exterminés.
La seule carte des Français est de tenter de prouver à ces malheureux qu’ils sont aptes à les protéger. Hélas ! ce principe de la loi du plus fort comporte une lamentable et douloureuse servitude : se montrer en cas de trahison, aussi implacablement cruel et intransigeant que l’ennemi.
Les premiers contacts pris par les patrouilles qui, quotidiennement, fouillent les environs de Ban-Cao, ne sont pas mauvais. Dans chaque village, les responsables jurent fidélité aux Français en échange de leur protection. Dans ce fameux rayon qu’il avait tracé autour de son poste. Mattei a reçu l’assurance d’être averti de tout mouvement suspect. Il n’en reste pas moins sceptique et demeure dans l’expectative quant à l’attitude à adopter ultérieurement.
L’un des premiers jours de février, le capitaine a pris le commandement d’une patrouille plus importante que d’habitude : des bruits insolites ont été perçus pendant la nuit et au début de la matinée, les habitants de Ban-Cao ont fait preuve d’un mutisme inaccoutumé.
À travers les sentiers montagneux qu’ils ont ouverts, les légionnaires se dirigent en direction de Cao-Fong. Leur poste passe à quelques centaines de mètres d’un minuscule hameau sans nom. Mattei connaît l’endroit ; il ne manque jamais d’y faire une halte. Le groupe de paillotes est habité par une petite tribu Man qui y vit paisiblement sous le pouvoir compétent d’un vieux chef, Ku-Kien, et de son jeune fils Kien.
Le vieux Ku-Kien fut l’un des premiers à promettre sa coopération à la garnison de Ban-Cao. Il le fit ouvertement, se déplaça ostensiblement accompagné de son fils et se présenta au capitaine, assurant à l’officier la fidélité de sa tribu (une vingtaine d’âmes). Le vieux parlait un français correct, mais son fils s’exprimait dans notre langue avec une aisance proche de la préciosité, ayant acquis ses connaissances à Hanoï dans une école où il avait séjourné plusieurs années. Le vieux expliqua qu’il attendait l’appui des légionnaires. Il ne chercha pas à cacher que son attitude était dictée avant tout par la pauvreté des siens que toute aide aux rebelles plongerait dans un insurmontable dénuement. La sincérité du vieillard était incontestable, et Mattei avait ordonné à toutes les patrouilles qui emprunteraient l’axe Ban-Cao – Cao-Fong de se détourner pour aller saluer la tribu Man, et s’assurer de sa quiétude.
Ce jour-là, le détour et la halte sont prévus comme à l’accoutumée. Le misérable hameau se trouve à deux heures de marche de Ban-Cao. Vers midi, la patrouille s’en approche. D’instinct, Klauss flaire une atmosphère insolite. Et très vite, Mattei et Osling sont atteints du même sentiment étrange de malaise. Leur appréhension croît à chacun de leurs pas. Puis, brusquement, c’est l’atroce vision du carnage. C’est toujours aussi révoltant, aussi écœurant, aussi pénible à découvrir. Mais maintenant, ils ont l’habitude, cela ne les étonne plus. Les ordres, les gestes sont devenus familiers. On creuse une fosse commune dans laquelle on ensevelit les corps mutilés. S’il subsiste quelque chose à brûler, on met le feu, et on repart un peu plus meurtri par l’injustice de ce combat.
Mattei est allé s’asseoir au
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