Par le sang versé
pied d’un arbre, Klauss le rejoint.
« Mon capitaine, on ne trouve aucune trace du vieux ni de son fils.
– Vous êtes sûrs ? Ils n’ont sûrement pas été épargnés.
– Ça, je m’en doute, mais en tout cas, ils ne sont pas parmi les cadavres dénombrés.
– Je le déplore, Klauss. S’ils ont été emmenés vivants, je ne veux même pas penser au sort qu’ils vont subir. »
Klauss se contente d’approuver d’un signe. À son tour, Osling les rejoint.
« Mon capitaine, nous avons trouvé des traces qui indiquent la direction de la fuite du commando viet.
– Vous êtes certains que ce n’est pas un piège ?
– Je ne le pense pas.
– Nous allons les suivre, ça ne donnera vraisemblablement rien, mais nous pouvons toujours le tenter. La boucherie a dû avoir lieu dans la soirée d’hier. Il se peut que les viets se soient arrêtés cette nuit pour camper : ils ne pouvaient pas prévoir que nous passerions ici aujourd’hui. »
Sans être ostensibles, les traces sont suffisamment nettes pour être suivies. Mais la colonne ne parcourt pas plus d’une centaine de mètres avant de s’apercevoir où elles mènent.
C’est Kien, le fils, qu’ils aperçoivent d’abord. Il est attaché à la branche horizontale d’un arbre ; ses bras en croix y sont liés solidement et soutiennent tout le poids de son corps ; entravés, les pieds pendent à quelques centimètres du sol. La tête du supplicié a basculé en avant et repose, inerte, sur sa poitrine. Osling s’est précipité. Il est-certain de la mort du jeune homme, et son premier geste n’est pas de couper les liens, mais de lui relever la tête d’un mouvement de l’index sous le menton. Soudainement, le sergent-chef hurle :
« Mais il vit, nom de Dieu, il vit ! Coupez les cordes ! Vite, coupez les cordes ! »
En moins d’une seconde, Kien est allongé au pied de l’arbre. Osling s’est penché sur lui et l’examine, découvrant, ahuri, que le jeune homme n’a aucune blessure, qu’il respire normalement et que son évanouissement n’est dû qu’à la terrible position dans laquelle il a été attaché, dans laquelle il est demeuré vraisemblablement pendant près de vingt heures.
« Dans deux jours, il pourra courir comme un lapin, déclare Osling ravi. Ils voulaient que son supplice fût le plus long possible, ils ne pouvaient pas prévoir notre passage. Le raffinement dans la cruauté aura, pour une fois, sauvé la vie de leur victime. »
Depuis qu’il s’est penché sur le jeune Kien, Osling n’en a pas détourné les yeux. Mattei lui frappe l’épaule de deux petits coups de sa canne. Osling se retourne. « Mon capitaine ?
– Venez voir, Osling. Le vieux, lui, ne vit plus. Et c’est inimaginable ce qu’ils ont inventé. Je crois que cette guerre nous en apprendra chaque jour, dans le domaine de l’horreur. »
Osling se relève. Il aperçoit l’arbre d’en face autour duquel les légionnaires, hébétés, se tiennent en demi-cercle. Précédé de Mattei, il écarte les hommes, et découvre à son tour l’hallucinant spectacle.
Le corps du vieux chef repose assis par terre, à la manière des Bouddhas, les jambes repliées sous les fesses. Il est ficelé à la base de l’arbre, ses mains sont liées sur son ventre. À son cou, une fine entaille a été pratiquée, à hauteur de son artère jugulaire. L’entaille a été bouchée par une petite sonde, elle-même transpercée d’un minuscule tube de verre : le vieillard s’est vidé de son sang, goutte à goutte, à chaque pulsation de son cœur ; chaque goutte de son sang tombait sur ses mains, et cela sous les yeux de Kien, crucifié en face de son père supplicié.
Osling s’approche et examine longuement la nette blessure avant d’en retirer la sonde.
« Une véritable opération chirurgicale, déclare-t-il. Réalisée avec adresse. L’agonie du vieux a dû être très longue ; en revanche il n’a pas dû souffrir.
– Ce n’est pas lui qu’ils ont cherché à faire souffrir, réplique Mattei, c’est son fils. Et je ne pense pas qu’ils aient raté leur coup. »
Osling acquiesce.
« À propos du fils, poursuit Mattei, vous disiez qu’il est pratiquement indemne ?
– Chef, il revient à lui », crie un légionnaire qui se trouve auprès du jeune Man.
Osling se précipite. Mattei donne l’ordre de détacher rapidement le corps du vieillard pour que son fils ne découvre pas, une fois encore, la
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