Par le sang versé
que ce malheureux lieutenant va avoir des ennuis.
– Vous avez raison, Klauss, ça ne vous regarde pas.
– C’est marrant, reprend néanmoins le sergent-chef, mais pour vous, il n’y a que la Légion, les autres peuvent crever.
– Erreur, Klauss, il existe des officiers corses qui ne sont pas légionnaires. »
À l’arrière, coincé entre Ickewitz et Fernandez, Clary éclate de rire.
Lemoine a fait le nécessaire, et la course de la jeep est à peine ralentie par les contrôles. Soc-Giang franchie on entre dans le no man’s land. Il n’existe plus aucun poste française jusqu’à la frontière de Chine, qui ne se trouve qu’à deux ou trois kilomètres. La route terrassée est devenue un chemin sinueux, il mène à Binh-Mang, le village frontalier.
Entassés dans la jeep, les cinq légionnaires se tiennent sur leurs gardes. Ils ont emporté trois pistolets mitrailleurs, deux fusils mitrailleurs et une caisse de grenades. Vu à quelques mètres, le véhicule surchargé ressemble à s’y méprendre à ceux qui rentrent au quartier après un soir de nouba. En réalité, bien que les hommes soient confusément vautrés les uns contre les autres, chacun d’eux se trouve en position de combat, le doigt sur la détente de son arme, et l’équipage de la jeep est prêt à riposter à une éventuelle attaque sous quelque angle qu’elle se produise.
Avant d’atteindre le village frontalier, Kien désigne un sentier à peine perceptible qui s’engage sur la gauche. La jeep y parcourt quelques mètres avant que le jeune Man réclame un arrêt.
« Je vais descendre, dit-il, et marcher devant pour vous guider. Les chevaux nous attendent à cinq cent mètres environ. Mais il ne faut surtout pas allumer les phares, vous n’avez qu’à me suivre, je connais le sentier, la jeep peut passer ; au bout on peut la garer et lui faire faire demi-tour.
– D’accord, approuve Mattei, je ne te perds pas de vue.
– Moi non plus », ajoute Fernandez en armant son colt.
Kien hausse les épaules, méprisant, et s’éloigne vers l’avant de son pas léger.
Les six chevaux sont là, gardés par un tout jeune homme que Kien libère et qui file dans la forêt sans avoir prononcé un mot. Les sabots des vieilles carnes ont été soigneusement enveloppés d’épais chiffons ; elles n’ont ni selle, ni même une couverture sur le dos. Leurs mors sommaires sont attachés avec des ficelles et les brides composées de cordelettes pourries et rafistolées. Les légionnaires parviennent néanmoins à arrimer les fusils mitrailleurs et la caisse de grenades. Puis ils se hissent sur les bêtes squelettiques. Les étranges cavaliers se mettent en chemin, suivant Kien qui a pris la tête. Ils marchent au pas. Les chiffons sous les sabots se révèlent d’une incroyable efficacité sur le sol pierreux. Le bruit de la colonne montée est pratiquement nul. Afin de respecter la volonté de Kien, Mattei s’est gardé de consulter la carte qui est dans son képi. Mais il l’a imprimée dans son esprit avant le départ et il devine relativement et où ils se trouvent, et la direction qu’ils prennent. Le col qu’ils s’apprêtent à franchir ne fait que confirmer ses hypothèses. Ils sont à l’extrême nord du massif montagneux de Nuil-Hoaï vraisemblablement en Chine. En revanche, une fois le col franchi, le sentier doit replonger vers l’ouest et les ramener au Tonkin. Kien semble avoir dit la vérité sur tous les points, et Mattei s’en trouve apaisé.
Le jour est entièrement levé lorsque la colonne s’arrête dans une forêt sur un terrain plat. Kien descend de cheval et fait signe aux légionnaires de l’imiter. Ils attachent leurs montures aux arbres.
« Il faut continuer à pied, chuchote-t-il. Enlevez vos chaussures, nous atteindrons notre but tout au plus dans un quart d’heure. »
Les cinq légionnaires s’exécutent ; seul Clary qui a les pieds sensibles – selon lui – proteste sans grande conviction.
Après une dizaine de minutes de marche, Kien s’arrête et d’un geste, attire l’attention du capitaine. Mattei le rejoint. D’où ils se trouvent, ils ne sont qu’à une trentaine de mètres d’une pagode circulaire de style chinois, dissimulée, invisible au cœur de la forêt.
« C’est là, annonce Kien à voix basse. Je vais en avant. Si tout va bien, je vous fais signe. »
Tout va bien. Et l’absence de précautions avec laquelle le jeune Man signale la
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