Par le sang versé
soit. Suppliez-le au besoin, de ma part, qu’il vous laisse l’usage de son appareil cette nuit.
– D’accord, mon capitaine, le cas échéant, je le réveillerai. Je vous rappelle dès que j’ai du nouveau.
– Merci, Lecocq. Nous restons en écoute permanente. Terminé. »
Mattei rend le casque au radio.
« Je suis à l’infirmerie auprès d’Ickewitz, dit-il. Dès qu’Hoan-Long rappellera, fais-moi prévenir. »
Le long corps d’Ickewitz est étendu sur un lit beaucoup trop court pour lui. Ses pieds dépassent. À part les bandelettes qui l’entourent de la poitrine jusqu’à la taille, il est nu. Les dispositifs de sérum et de plasma sont suspendus au-dessus de son lit et rattachés à ses bras. Dès qu’il aperçoit Mattei, Ickewitz sourit et balbutie :
« Mon capitaine…
– Ne parle pas, Adam, ça va te fatiguer », murmure Mattei.
Le visage du géant s’assombrit un bref instant, puis il reprend son faible sourire.
« Je suis foutu, n’est-ce pas mon capitaine ?
– Bien sûr que non. Pourquoi dis-tu ça ?
– Vous avez dit : « Ne parle pas, Adam », ânonne le géant. Si je n’allais pas mourir, vous auriez dit, comme d’habitude : « Ta gueule, Ickewitz ! »
Mattei fait des efforts pour ne pas laisser paraître son émotion. Il répond :
« Tu seras toujours aussi con, et moi qui croyais que tu parlais sérieusement. Maintenant, repose-toi. Je vais m’asseoir auprès de toi, j’attends des nouvelles d’Hanoï, un avion va venir pour t’évacuer. »
À minuit, Lecocq rappelle. Il a pu joindre le colonel V… mais l’officier supérieur a refusé catégoriquement de le laisser disposer de son appareil, arguant qu’il est insensé d’endommager le Morane et d’exposer la vie de son équipage, pour éventuellement sauver un homme. Il ne conçoit même pas que Mattei ait eu une idée aussi saugrenue et se soit cru permis de le déranger au milieu de la nuit. Il compte s’en expliquer de vive voix avec le capitaine, lorsqu’il atterrira dans la matinée.
« Qu’est-ce qu’il m’a passé ! conclut le lieutenant-aviateur. Et qu’est-ce qui vous attend tout à l’heure, mon capitaine !
– Merci, mon vieux, répond Mattei accablé et écœuré. Excusez-moi pour cette engueulade qui ne vous était pas destinée.
– Ce n’est rien, mon capitaine, je vous comprends… »
Mattei regagne le chevet du Hongrois. Osling, Clary et Fernandez sont assis autour de son lit. Mattei fait signe à Osling de le suivre.
« Impossible de l’évacuer, annonce-t-il.
– Alors, il est foutu. Je suis désolé, mon capitaine. »
Le capitaine passe la nuit assis près du lit du mourant. C’est maintenant la seule chose qu’il puisse faire pour lui. Ickewitz reprend conscience à plusieurs reprises, il constate la présence de l’officier, et en semble apaisé avant de sombrer à nouveau dans le coma.
Seul, Fernandez a été autorisé à rester avec lui. Mais à la porte de l’infirmerie, Osling, Klauss, Lantz, Favrier et Clary se sont installés, assis par terre en silence. Toutes les heures, Osling se porte près du mourant, puis le sergent-médecin sort et regagne sa place entre ses compagnons. Il est 9 h 10 du matin lorsque Fernandez apparaît livide, et déclare : « Il vient de mourir.
– Le capitaine ? demande Osling.
– Il pleure, laissez-le. »
Vers midi, Mattei, Fernandez et Clary creusent eux-mêmes la tombe destinée à leur compagnon. Ils sont tous les trois en short, pieds et torse nus. L’emplacement qu’ils ont choisi pour en faire la sépulture du Hongrois se trouve au pied de la route d’accès au poste. Nul ne pourra gagner le nid d’aigle sans passer devant le tombeau d’Ickewitz. Ce lieu est très proche de l’une des extrémités de la piste d’atterrissage. C’est Fernandez qui, le premier, perçoit le bruit du Morane.
« Mon capitaine ! Le colonel et ses invités ! On les avait oubliés ! »
Mattei ne répond pas. Il continue à creuser en silence, s’aidant de son pied nu pour enfoncer la pelle dans le sol.
Le Morane effectue sa ronde rituelle autour du piton avant de prendre son axe d’atterrissage. (Le colonel commence toujours son exposé en faisant admirer à ses hôtes le panorama d’ensemble du poste.) L’avion se pose ensuite en souplesse, et vient s’immobiliser à quelques mètres seulement des trois légionnaires.
Deux hommes et une femme élégante accompagnent
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