Par le sang versé
« N’oubliez pas le guide, s’il vous plaît. »
Aucun des hommes de la 4 e compagnie qui séjournèrent à Ban-Cao, n’oubliera la date du 4 juin 1948.
À l’aube, une grosse colonne (une trentaine d’hommes) quitte le poste pour effectuer une patrouille d’inspection au Sud, en direction de Cao-Bang. Mattei, Klauss et Osling font partie du groupe. Le secteur est maintenant infesté de viets. La fidélité des habitants des villages voisins mollit. Mattei soupçonne les tribus qui vivent assemblées dans des groupes de paillotes perdus dans la forêt d’apporter une aide effective aux rebelles. Le plus souvent, ces rassemblements de paillotes qui abritent entre trente et cinquante individus, ne portent même pas de nom. Mais la modestie de leurs installations permet quand même aux viets de s’y dissimuler et surtout d’y constituer des réserves de vivres et de munitions. Pour les légionnaires, ces hameaux représentent une gangrène contre laquelle il est difficile de lutter. Leur multiplicité rend les inspections laborieuses, et frapper au hasard, en s’exposant à châtier des innocents, risquerait d’engendrer de désastreuses conséquences.
Ce jour-là, Klauss marche en tête. Mattei en troisième position se trouve, comme à l’accoutumée, entre ses gardes du corps, Ickewitz et Clary. La colonne progresse depuis deux heures et se trouve précisément à quelques centaines de mètres de l’un de ces hameaux. Mais il faudrait, pour y parvenir, se détourner de la piste qui conduit à Cao-Bang, et Mattei a décidé d’ignorer le groupe de paillotes et de poursuivre son chemin.
Pour une fois, Klauss est trahi par son flair. Il passe sans rien remarquer, et c’est Ickewitz qui, derrière lui, décèle le premier la présence de l’ennemi. Il entrevoit, à moins de dix mètres, l’arme automatique braquée dans leur direction. Alors, d’instinct, il fait un bond et se jette entre l’arme et le capitaine. Il est frappé en pleine poitrine par la première rafale, il ne tombe pas, il se retourne pour constater que Mattei s’est jeté par terre et qu’il se trouve à l’abri. Le géant parvient alors à faire quelques pas dans la direction de ses compagnons ; il reçoit une nouvelle rafale dans le dos et, cette fois, il s’écroule.
Fou de rage, Mattei ordonne l’assaut. Les hommes se ruent. Un légionnaire tombe foudroyé. Un second s’effondre, gravement blessé, mais en moins d’une minute le groupe viet est exterminé, ils étaient treize. Il n’y a que deux survivants ; l’un qui n’a que quelques minutes à vivre, le second est atteint au bras d’une blessure superficielle.
Osling s’est précipité auprès d’Ickewitz, suivi du capitaine qui attend, angoissé, le pronostic du médecin.
Osling se retourne et déclare :
« On l’amène au poste au pas de course. Désignez huit types qui se relaieront pour porter le brancard, je les accompagne.
– Il a une chance ?
– Franchement, je ne le pense pas, mais il est tellement costaud qu’on peut espérer un miracle. Dès que j’arriverai je tenterai d’obtenir un avion pour le transporter à l’hôpital d’Hanoï. S’il a une chance, c’est la seule. La série d’interventions que nécessite son état ne peut même pas être envisagée à l’infirmerie de Ban-Cao.
– Prenez douze hommes, vous pourrez courir plus vite, faites l’impossible, moi je reste ici.
– Vous oubliez qu’il y a un autre blessé, interrompt Osling.
– Il est mort, annonce Klauss qui vient de les rejoindre.
– Partez, supplie Mattei. Dépêchez-vous, sauvez Ickewitz, je me charge du reste. »
Le groupe Osling s’éloigne en courant. Les quatre premiers brancardiers font des efforts visibles pour secouer le moins pos sible le mourant, malgré le rythme de leur pas gymnastique. Mattei rejoint Klauss et la vingtaine de légionnaires qui lui restent. Au milieu des cadavres de ses compagnons, le survivant viet se tient accroupi. Il tremble de tous ses membres. Il est indéniable qu’il est envahi de terreur, qu’il n’est pas un de ces fanatiques comme il y en a tant dans les rangs des rebelles.
Mattei le contemple un instant, puis l’interroge :
« Tu comprends le français ? »
L’homme fait un signe de négation.
« Kas », hurle Mattei.
Kas est l’un des partisans de la 4 e compagnie. Il suit toutes les opérations pour servir éventuellement d’interprète. Le supplétif indigène se
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