Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Par le sang versé

Par le sang versé

Titel: Par le sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul Bonnecarrère
Vom Netzwerk:
des Tonkinois est foutu… » Alors, imitant le chef du village, il joint ses mains, et à son tour, se courbe respectueusement devant le portrait d’Auriol. Derrière lui, Burgens et les sous-officiers répètent les mêmes gestes, ahuris.
    Seconde surprise. Plusieurs bouteilles de whisky font leur apparition. Enfin, après quelques échanges de civilités, les hommes passent à table et c’est là que l’étonnement des légionnaires va atteindre son paroxysme.
    Venant de l’extérieur, une file de serveurs pénètre dans la paillote ; chacun d’eux porte un petit singe vivant dont la tête est serrée dans un carcan et le corps emprisonné dans une sorte de trépied de bois. Un animal est disposé devant chaque hôte et chaque invité. Les petits singes affolés tentent, par des convulsions désespérées, de se dégager de leur prison miniature. Les légionnaires se dévisagent abasourdis, seul Burgens a compris. Il est au courant de l’usage. Conservant tout son calme, il explique, sur un ton badin, s’adressant à Mattei :
    « C’est le plus grand honneur qu’ils pouvaient vous faire, mon capitaine. En Chine du Sud la coutume est courante. Ici c’est plus rare, c’est en quelque sorte leur caviar. Il paraît que c’est délicieux. Pour ma part, je ne suis pas mécontent de tenter cette expérience, jusqu’à présent je n’en avais qu’entendu parler. »
    Le chef du village a saisi le dialogue, il sourit enchanté.
    « Je suis ravi de vous faire découvrir la délicatesse de ce mets de roi. »
    Mattei n’a toujours pas compris où on allait en venir. Il demeure néanmoins souriant et s’adressant à Burgens, interroge :
    « Si vous m’expliquiez la suite…
    –  Attendez, mon capitaine, réplique mystérieusement Burgens. Vous allez voir. Il vous suffit d’observer le chef et de l’imiter. Du reste, voici le cuisinier, l’opération va commencer. »
    Un indigène est apparu, armé d’un long couteau d’une finesse de rasoir. Il passe derrière les convives et, d’un geste rapide et précis, tranche le sommet de la calotte crânienne de chaque singe. Les petits animaux ne semblent même pas se rendre compte de leur mutilation ; scalpés, ils continuent à s’agiter avec la même vivacité, et les légionnaires découvrent, à l’intérieur des petits crânes, les convulsions du cerveau qui continue à palpiter.
    Fier et conventionnel, le chef tonkinois se saisit d’une petite cuiller spéciale qu’il plonge dans le crâne de son singe et, lui imprimant un mouvement circulaire, il extrait la matière cervicale qu’il porte à ses lèvres en la savourant avec délice. Après un dernier sursaut, le corps du petit animal retombe, inerte.
    Mattei et les sous-officiers, médusés, sont devenus livides. Seul, Burgens conserve sa placidité. Il se saisit de sa petite cuiller, et déclare souriant :
    « Il faut y aller, mon capitaine ! Vous avez des oursins en Corse, pensez à ça ! »
    Reprenant ses esprits, Clary lance :
    « Merde, alors ! Des singes à la coque !
    –  Mungia é sta zitta, ordonne, en Corse, Mattei.
    –  Après vous, mon capitaine, je connais les usages. »
    Surmontant sa répulsion, Mattei procède au curetage et avale d’une bouchée la minuscule cervelle. Il est tellement satisfait d’avoir réussi à surmonter l’épreuve qu’il complimente le chef de la succulence de son mets original. Plus curieux par nature, Burgens a dégusté et recherché le goût. Il reconnaît sincèrement, lui, que c’est délicieux. Les autres, comme le capitaine, ont avalé leur cervelle, crispés. Puis ils se sont précipités sur le vin qui, heureusement, est distribué en abondance.
    Le reste du repas se passe sans autre incident que l’état d’ébriété de Clary et Fernandez. Néanmoins, ils ne créent pas de scandale.
    Sur la route du poste, le retour est houleux. Clary a une idée fixe. Il veut manger la cervelle de Fernandez comme celle du singe. Il répète d’une voix pâteuse d’ivrogne :
    « La cervelle à Fernandez, ce serait encore meilleur parce qu’elle baigne dans l’alcool depuis trente ans. »
     
    En octobre 1948, l’ordre est donné d’évacuer la R. C. 3. Les prédictions du capitaine Mattei, qui se trouve en France, sont devancées de quelques semaines. À son départ, la 4 compagnie a été placée sous le commandement du capitaine Roch ; c’est lui qui ordonne la destruction de Ban-Cao.
    Le nid d’aigle au nom d’Adam

Weitere Kostenlose Bücher