Par le sang versé
pittoresques » (comme les a surnommés Burgens) est inimaginable. Ils font partie des trois « cirques ». Ils sont là comme des statues vivantes ; partout ils accompagnent Constans de leur marche lente et cadencée, tonnant des chants allemands sur des paroles françaises. Mais leur accent est tellement prononcé que tout le monde s’y perd.
Une des premières réceptions du sergent-major à Lang-Son se déroula vers la fin mai 1949.
Le colonel Constans apprend la visite d’un amiral et de deux capitaines de vaisseau de l’U. S. Navy en mission d’information. Il prévient aussitôt Burgens, c’est le « cirque numéro trois ». Tout le dispositif est rapidement mis en place. Une seule ombre au tableau, l’absence d’éléments féminins dans l’assemblée. Pourtant, notoirement, l’amiral américain passe pour un grand amateur de la grâce asiatique. Burgens fait une suggestion :
« Je pourrais trouver une princesse Moï d’une grande beauté, mon colonel. »
Constans se méfie. Il craint que, cette fois, Burgens n’aille un peu loin :
« Vous vous portez garant de son authenticité ? – Je me porte garant d’un fait plus essentiel, mon colonel : la princesse ne parlera ni l’anglais ni le français. Avec votre assentiment, je servirai d’interprète moi-même, ayant acquis depuis deux ans de solides notions de nhac. »
Constans préfère ne pas en apprendre davantage. Il s’en remet à Burgens.
D’où sort la fille ? Nul ne le sait vraiment, mais tout le monde s’en doute. Elle est effectivement d’une grande beauté et Burgens l’a parée comme une princesse. Pendant tout le repas, elle s’adresse en nhac à Burgens, debout entre elle et l’amiral. Burgens traduit. L’officier de marine américain sera émerveillé de voir tant d’esprit allié à une telle grâce.
Pendant le souper, des légionnaires en gants blancs annoncent les mets d’une voix de stentor, chacun dans la langue de son pays d’origine. Deux orchestres se relaient. Un tzigane, d’abord, puis un quatuor à cordes qui joue du Mozart. Quand les officiers américains, éberlués, regagnent leurs chambres, ils trouvent du whisky « carte noire » sur leur table de nuit ; deux prisonniers viets sont à leurs ordres pour les laver et les masser avant qu’ils ne s’endorment.
Les échos de ces fêtes somptueuses parviennent jusqu’à Cao-Bang. Le colonel Charton, apprenant la création de « la royale » du colonel Constans, forme, lui aussi, une garde personnelle. Il la baptise « l’impériale ». « L’impériale » n’est composée que de douze légionnaires ; ils ne sont pas choisis en raison de leur taille, mais de leurs capacités au combat…
De Lang-Son, P. C. du colonel Constans, à Cao-Bang, P. C. du colonel Charton, la R. C. 4 serpente sur cent seize kilomètres. Elle traverse, à partir de Lang-Son : Dong-Dang, kilomètre 15 ; Na-Cham, kilomètre 33 ; That-Khé, kilomètre 63 ; Dong-Khé, kilomètre 88 ; Nam-Nang, kilomètre 101. Elle arrive enfin à Cao-Bang, kilomètre 116.
Une trentaine de postes kilométriques, disposés en retrait ou à quelques mètres seulement de la route, tiennent, en outre, les principaux points stratégiques, mais la concentration viet est tellement forte que leur présence n’arrête pas l’hécatombe.
Dong-Khé, kilomètre 88, est la ville-étape. Les convois s’y arrêtent pour la nuit, avant d’affronter la section la plus redoutable de la R. C. 4 – les trente-huit kilomètres de mort qui les séparent encore de Cao-Bang.
Le poste de Dong-Khé est tenu par deux compagnies du 3= Étranger. Le commandement est assumé par le chef de bataillon de Lambert. Certains considèrent le commandant de Lambert comme un fou furieux ; les plus modérés pensent que c’est un original ; personne, en tout cas, ne met en doute son courage et sa valeur de combattant.
À Dong-Khé, le commandant de Lambert n’a pas grand-chose à faire. Comme les autres chefs de la R. C. 4, il est encerclé. Il ne peut rien tenter. Alors, il dépense son énergie à la création d’un établissement de plaisir, à la fois casino, boîte de nuit et bordel. Le Hublot va être bâti à flanc de rocher dans les calcaires. C’est, il est vrai, l’endroit idéal pour fonder une installation de ce genre : les officiers et les hommes qui s’arrêtent à Dong-Khé savent qu’ils vont peut-être y passer leur dernière nuit. L’argent qu’ils ont en poche
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