Par le sang versé
immédiatement. Mais d’abord, dis-moi un peu ce qu’attendait au juste de toi le maréchal ?
– Tout, mon capitaine. Je lavais et je repassais son linge, je cirais ses bottes et ses chaussures, j’astiquais et je recousais les boutons de ses tuniques, j’achetais moi-même ses chemises. C’est moi également qui salissais ses uniformes pour les photographes.
– Qu’est-ce que tu racontes ?
– Je ne mens pas. Quand nous attendions la visite des photographes ou des opérateurs d’actualités en Libye, le maréchal me chargeait de répandre de la poussière de sable sur son uniforme et je lui en saupoudrais également le visage avec un petit pinceau de soie. Après, c’est moi qui nettoyais tout. »
Mattei part de son grand rire.
« On a raison de dire qu’il n’existe pas de grands hommes pour leurs valets. Rommel se maquiller ! Décidément, j’en apprendrai tous les jours. Rassure-toi, poursuivit le capitaine, devant la mine affligée de Kalish, ça n’enlève en rien l’admiration que je lui porte. »
L’entrée en fonction de Kalish en qualité d’ordonnance va avoir deux effets : le premier, sur l’aspect physique du capitaine qui, immédiatement va s’améliorer ; le second va être d’assimiler Kalish à la bande Mattei (Clary, Klauss, Fernandez). Les « truands-prétoriens », comme les nomme le capitaine, sont de nouveau quatre. Sans être oublié, Ickewitz est remplacé.
En septembre 1948, le capitaine Mattei reçoit enfin sa permission. La joie qu’il éprouve à l’idée de revoir la France qu’il a quittée depuis plus de quatre ans, et plus précisément sa Corse natale, est assombrie par sa certitude de quitter Ban-Cao à tout jamais. Il n’ignore pas que le poste vit ses derniers jours, que bientôt ses hommes feront sauter en quelques heures le travail acharné de six mois.
Dans le village tonkinois on est au courant du proche départ du capitaine, et durant deux semaines les notables préparent un festin d’adieu. Cette marque de sympathie spontanée émeut l’officier de Légion qui accepte avec enthousiasme de participer à ce gala auquel sont également conviés Osling, Klauss, Kalish, Fernandez, Clary et Burgens.
Le mystère qui entoure l’élaboration de cette festivité laisse présager le faste et l’importance que les Tonkinois désirent donner à leur réception.
Par une chaude soirée, les sept légionnaires descendent du poste en grande tenue. Pour une fois, Mattei a revêtu son uni forme sans maugréer. Les sous-officiers sont impeccables. Kalish a veillé à tout. Clary et Fernandez se réjouissent à l’idée du repas qui les attend.
« Il paraît qu’ils ont trouvé du vin de France », clame Fernandez, l’œil pétillant.
D’un geste, Mattei arrête les six hommes.
« Entendons-nous bien avant d’arriver, dit-il. Personne ne se soûle la gueule. Ces braves gens vous ont invités comme s’ils vous considéraient comme des êtres civilisés, et sur ce point, je ne trouve pas leur naïveté ridicule, mais touchante. J’entends qu’ils ne soient pas déçus.
– Tout de même, mon capitaine ! On peut boire un petit coup par ci, par là, marmonne Clary. Sans ça, c’est pas la peine d’aller à une fête.
– Un petit coup par ci par là, comme tu dis. Fais-moi confiance, j’y veillerai. »
Les notables sont rassemblés devant la plus importante des paillotes. Eux aussi sont vêtus avec un soin inhabituel. Ils saluent l’arrivée des légionnaires par de respectueuses courbettes avant de les prier d’entrer.
Mattei admire la longue table rectangulaire, les fleurs qui la parent sont disposées avec art et goût. Puis, levant les yeux, le capitaine a un choc qui le contraint à mordre ses lèvres pour ne pas éclater de rire.
Au fond de la longue salle, est disposé un portrait géant du président Vincent Auriol entouré de quatre cierges qui l’éclairent. Le chef du village s’en approche et joignant ses deux mains sur sa poitrine, il s’incline respectueusement en signe de vénération. C’est un suprême hommage rendu à ses invités. Burgens murmure dans l’oreille du capitaine :
« Nous devons l’imiter. Allez-vous incliner devant l’effigie de notre chef suprême. »
Mattei fait des efforts surhumains pour conserver son sérieux. Pour s’aider, il pense : « Si je me laisse aller à une crise de fou rire, derrière moi, ça va être le délire chez les légionnaires, et le dîner
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