Par le sang versé
toujours pour lui paroles d’Évangile. En plus, Mattei, comme Charton, considère que le style d’officier fastueux que représente Constans est indispensable à un corps d’armée aussi exceptionnel et imprégné de traditions que la Légion étrangère. Tout au plus, déplore-t-on de temps en temps dans les mess, que ce genre de « seigneur de parade » se voie chargé, en outre, de faire la guerre.
Le plan que Mattei va commencer à mettre sur pied à partir du 16 août est fondé sur une hypothèse : à brève échéance, de gigantesques combats auront lieu sur la R. C. 4 entre Cao-Bang et Na-Cham.
Le capitaine convoque l’un de ses adjoints, le lieutenant Jaluzot, qui commande le petit poste de Bo-Cuong, à sept kilomètres au nord.
« Ou je suis le roi des cons, ou on va très bientôt en prendre plein la gueule. Pas nous, du moins je ne le pense pas, mais plus haut, dans les gros calcaires. En conséquence, notre ( secteur va voir déferler une armée en déroute. La seule chose qui demeure en notre pouvoir, c’est qu’à partir de chez nous, les copains puissent passer sans subir le coup de grâce. Quand je dis « à partir de chez nous », je pense à partir de chez toi. Car c’est Bo-Cuong au col de Lung-Vaï qui va être le plus exposé.
– Tu ne crois pas que tu es un peu pessimiste, mon capitaine ?
– Je crains d’être trop optimiste, Jaluzot !
– De toute façon, trois obus de mortier sur Bo-Cuong et bonsoir maman !
– Non, mon vieux, parce qu’à partir de demain à l’aube, on va s’occuper de ta toiture. On va te la renforcer, la blinder, et la bétonner de telle sorte qu’elle puisse résister à une bombe atomique. »
Bien que sceptique, Jaluzot approuve.
« De toute façon, ça ne fera pas de mal au moral des hommes, le travail les distraira. »
Bo-Cuong est situé à deux mètres de la R. C. 4, au point culminant du col de Lung-Vaï. C’est un blockhaus circulaire à ras de terre. Douze meurtrières permettent de tirer à couvert au fusil mitrailleur. Il est occupé en permanence par onze légionnaires, dix partisans et le lieutenant Jaluzot. Mais bien que le blockhaus se trouve sur le point le plus haut de la route, il est surplombé par les montagnes, les calcaires et la forêt.
Pendant une semaine, trois sections de légionnaires aidées par une trentaine de partisans renforcent le toit du poste nain. Du béton est coulé entre un enchevêtrement de poutrelles d’acier. Le travail terminé, Bo-Cuong ne résisterait peut-être pas à une bombe atomique, mais aucune des armes les plus lourdes engagées dans les combats du Tonkin ne serait capable seulement de l’ébrécher.
Pour Mattei, ce n’est pas encore suffisant, il a repéré cent mètres plus haut, dans les calcaires abrupts, une grotte qui paraît assez vaste. Il y fait hisser une mitrailleuse de 12,7. Il y installe des couchettes, des munitions et du ravitaillement pour trois mois. Deux légionnaires y demeureront sur place par roulement.
Vingt-cinq hommes seulement assurent l’ouverture de la R. C. 4 au col de Lung-Vaï, mais plus d’un bataillon serait nécessaire pour les inquiéter.
Comme s’il n’avait pas suffisamment de tracas un problème secondaire vient troubler les préparatifs du capitaine Mattei : le révérend père Mangin et sa colonie catholique. C’est Clary qui soulève le lièvre. Un soir au poste il déclare :
« Mon capitaine, le curé, je le vois pas beau !
– Qu’est-ce que c’est encore que cette histoire ?
– C’est pas une histoire. Dans le pays on jase. Les catholiques ne sont pas en majorité, et le curé fait de la retape. Il prêche. Il fait des discours pour la paix des hommes, et un tas de conneries dans ce genre-là… Tout le cirque, quoi ! Je suis catholique, vous le savez, et je ne suis pas contre la messe de temps en temps, avec ma mère, à Bastia le dimanche, vers onze heures. Mais ici, c’est pas le moment de déconner tout ce qu’il déconne. Et il lui arriverait des bricoles que ça ne m’étonnerait pas…
– Écoute, Clary, merci de me prévenir, mais j’ai autre chose à foutre que de m’occuper du curé. Alors, sois gentil, fous-moi la paix !
– Comme vous voudrez, mon capitaine, moi ce que j’en disais, c’est parce que je l’aime bien, le père Mangin, et que ça va me faire de la peine de vous le ramener en tranches un de ces quatre matins.
– Tu penses vraiment que c’est à ce
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