Par le sang versé
légionnaires et huit partisans ; le commandement en est assuré par le sergent-chef Gianno. Il n’y aura qu’un survivant, un légionnaire hollandais, Strast. C’est lui qui fera le récit hallucinant de l’attaque viet.
« … Aux environs de minuit, tout semblait calme. Aucun bruit n’était perceptible venant de la jungle, lorsque j’aperçus un trait lumineux qui déchirait le ciel. L’alarme donnée aussitôt, tous les hommes se portèrent aux créneaux et ouvrirent le feu au hasard, dans l’obscurité.
« Le premier jet lumineux atterrit en plein centre de la cour du bastion. Nous pensions à quelques bombes de fabrication lo cale, quand avec stupéfaction, nous nous aperçûmes que c’était un chat vivant qui venait de retomber sur ses pattes. À sa queue était attachée une mèche d’amadou. Brusquement l’animal s’enflamma comme une torche et se mit à courir en hurlant. Il fut suivi par cinq, puis dix, puis finalement une centaine de chats fous qui s’embrasaient, courant dans tous les sens en hurlant de douleur. »
Le but recherché par les viets dans cette incroyable opération atteignit parfaitement son objectif. Plusieurs des chats enflammés parvinrent à se réfugier dans la soute aux munitions, faisant ainsi sauter la presque-totalité du poste. Les chats avaient été trempés dans de l’essence et projetés tournoyant par la queue.
Ce procédé d’attaque ne fut pas renouvelé : malgré son succès, les viets le jugèrent, sans doute, trop artisanal pour la grande offensive qu’ils préparaient.
36.
E N février 1950, le capitaine Mattei a reçu sa nouvelle affectation : Na-Cham, kilomètre 33, sur la R. C. 4. Il prend le commandement de la 2 e compagnie du 1" bataillon. Il a récupéré, à la 4 e , Klauss, Osling, Clary et Fernandez. Le gang est reformé.
La responsabilité de Mattei ne se borne pas à la bourgade de Na-Cham, et au poste militaire qui la surplombe. Il est en outre chargé d’assurer la sécurité du blockhaus de Bo-Cuong qui protège le passage du col de Lung-Vai. Sa mission consiste enfin à veiller sur la colonie catholique, une centaine de Tonkinois chrétiens placés sous la tutelle d’un patriarcal missionnaire, le révérend père Mangin.
De plus en plus rares les convois ne font généralement qu’une brève halte à Na-Cham, pressés de gagner la cité-étape de Dong-Khé.
Il est un équipage pourtant qui a pris l’habitude de s’arrêter à Na-Cham, C’est un camion solitaire qui emprunte la R. C. 4 au mépris de tout danger, contre tous ordres.
Ses occupants sont deux légionnaires du 3 e Étranger qui, ayant fini leur temps, ont choisi de se faire démobiliser sur place, dans l’espoir de s’enrichir en six mois. L’un d’eux est un Méridional, Félix Gidotti, originaire de Menton, l’autre, son meilleur ami, un Danois qui a dépassé la quarantaine, Jan Kirsten. L’idée des deux hommes commercialement n’est pas insensée : à cette époque, toute denrée, toute marchandise, triplait de valeur entre Lang-Son et Cao-Bang. Restait évidemment à parcourir une fois par semaine les cent seize sanglants kilomètres de la R. C. 4…
Devant quelques réticences de Kirsten, Gidotti avait répondu :
« Les viets se foutent pas mal d’un véhicule isolé. Mieux que quiconque nous savons renifler les mines. Tout ce qu’on peut risquer, c’est qu’une fois ou deux ils nous saisissent la marchandise ; on n’en mourra pas. En six mois, on peut ramasser vingt briques et rentrer en France pour s’acheter un bistrot tranquille dans le Midi. »
Manquant de fonds au départ, les deux anciens légionnaires effectuèrent les premiers voyages à bicyclette, tirant des roulottes sommaires. Ces déplacements réalisés miraculeusement sans incident, ils achetèrent un camion. Mais quel camion !
C’était un vieux Citroën rafistolé de toutes parts. Les pneus ne possédaient pas de chambres à air et avaient été bourrés d’herbes humides. Les freins étaient inexistants, leur huile ayant été remplacée par de l’eau savonneuse. Dans les descentes, un jeune Tonkinois courait et plaçait des cales sous les roues pour freiner la vitesse. Le réservoir d’eau fuyait et un autre enfant se tenait en permanence à cheval sur le capot, versant de l’eau dans le radiateur à l’aide d’un arrosoir.
Gidotti et Kirsten, eux aussi, étaient devenus fous. Ils étaient inconscients mais on saluait leur courage.
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