Par le sang versé
légionnaires pénètrent dans la chapelle, le père Mangin est agenouillé près de l’autel. Il ne les entend pas entrer. Mattei se découvre et se signe. Ses hommes l’imitent. Clary chuchote dans l’oreille du capitaine :
« On pourrait pas faire ça ailleurs ? »
Pour toute réponse, Mattei, d’un signe de tête, confirme son ordre. Clary et Fernandez posent leur képi sur une chaise et s’avancent lentement vers le prêtre. Clary tient à la main une cordelette. Les deux hommes attendent que le missionnaire s’aperçoive de leur présence. Alors Clary déclare doucement :
« Pardonnez-nous, mon père. »
Ils se saisissent du curé, le soulevant chacun par un bras, et avec des gestes experts, lui lient les mains derrière le dos. Le missionnaire se lève et se retourne.
Ignorant ses agresseurs il foudroie du regard le capitaine et les deux sous-officiers qui s’avancent vers lui.
« Vous ne comprendrez donc jamais que la force et la violence, capitaine ! » déclare-t-il amèrement.
Mattei est sur le point de répliquer : « C’est vous qui ne comprenez que la force et la violence », mais il se retient ; il s’est promis de ne pas engager le fer.
« Une seule question, mon père, dit-il. Vous marchez auprès de nous ou dois-je également vous attacher les pieds et vous faire porter ?
– Marcher auprès de vous constituerait une concession à laquelle je me refuse. Prenez l’entière responsabilité de votre profanation, je ne ferai pas le moindre geste pour m’en rendre complice. »
Mattei fait un nouveau signe à l’adresse de Clary et de Fernandez. Cette fois, c’est l’Espagnol qui s’adresse au père Mangin :
« On exécute les ordres, mon père, c’est pour votre bien, il faut nous pardonner.
– C’est à Dieu qu’il faut réclamer votre pardon et celui de votre chef », réplique le prêtre solennellement.
Clary a lié les pieds du père Mangin. Il se baisse et le saisissant sous les fesses, du bras gauche, il fait basculer le curé entravé qui se retrouve hissé sur l’épaule du légionnaire. Avant de sortir de la chapelle, Clary, qui supporte sans le moindre effort le corps du prêtre, se retourne, fait une génuflexion et se signe.
Dehors, très rapidement, un cortège, plus intrigué qu’hostile, se forme et suit l’étrange procession jusqu’à l’entrée du poste. Le père Mangin est conduit dans une chambre et détaché. Deux légionnaires sont désignés pour garder sa porte. Deux autres se relaieront nuit et jour devant sa fenêtre.
Malgré le grade qu’ils avaient à l’époque (caporal et caporal-chef) Clary et Fernandez sont admis par faveur spéciale au mess des sous-officiers. Ce soir-là, comme à l’accoutumée, ils s’y rendent pour boire une ou deux bouteilles de bière. Ils s’assoient à leur table habituelle ; la table est occupée par un adju dant et six sergents qui se sont tus brusquement à leur arrivée. Clary et Fernandez les ignorent et commandent leur boisson.
Parlant intentionnellement à voix haute, l’un des sergents déclare :
« Ça commence à barder sérieusement dans le secteur ! J’ai entendu parler d’un de ces commandos dans la soirée ! C’était féroce.
– • Oui, approuve l’adjudant, je n’ai pas beaucoup de détails, mais il paraît que nous avons remporté une glorieuse victoire. De toute façon les survivants vont sûrement être proposés pour une citation avec palme… »
Clary et Fernandez boivent leur bière, feignant d’ignorer la conversation.
« D’après ce qu’on m’a dit, reprend un autre sergent, l’ennemi s’était réfugié dans la chapelle.
– Oui, il y en a qui ne respectent vraiment rien.
– Comment est-on parvenu à déloger les rebelles ?
– Deux volontaires, deux héros, une vraie mission suicide. »
Clary et Fernandez échangent un regard, puis avec un ensemble parfait, ils saisissent leurs canettes par le goulot et en brisent le cul sur le bord de la table, ils se lèvent, se retournent et font face :
« Alors, lance Clary, les traits crispés par la rage, qui veut continuer la conversation ? »
Aucun des sous-officiers n’est chaud pour la bagarre. La force et l’habileté de Clary sont légendaires. La ruse et la souplesse de Fernandez également. L’adjudant préfère parlementer.
« Le prends pas comme ça, Antoine, tu vas t’attirer des ennuis. On voulait simplement rigoler.
– Moi, j’ai pas envie
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