Par le sang versé
l’étudié attentivement avant d’annoncer :
« Le nom de Quang-Liet ne figure pas sur la carte, mais la piste doit être ce trait blanc pointillé qui conduit à Lan-Haï et qui poursuit sur That-Khé.
– Putain ! En pleine jungle ! Ils sont malades, ou quoi ? lance Govin. Ils cherchent à éviter Dong-Khé comme si on l’avait pas repris.
– Qui t’a dit qu’on l’avait repris, Dong-Khé ? Radio-bambou ? »
Ce que les hommes appellent radio-bambou, ce sont les nouvelles contradictoires qui courent de popotes en secrétariats, et qui arrivent jusqu’à eux amplifiées et déformées. Pourtant, radio-bambou reste leur seule source d’information.
« Si on n’a pas repris Dong-Khé, c’est que les viets y sont encore ! Et alors, je me demande ce qu’on fout là ! reprend Govin.
– D’après ce que je crois comprendre, on contourne par cette fameuse piste.
– On contourne mon cul ! Tu t’imagines les viets à Dong-Khé nous laissant manœuvrer avec ce ramassis de clochards qu’on traîne avec nous !
– Maintenant, ta gueule ! tranche le sergent. On nous a demandé de marcher les derniers et de suivre. Pour le reste, c’est Charton que ça regarde. Et sur les grandes idées que tu as dans la tête, il doit lui aussi avoir une opinion. »
Pour les légionnaires, c’était la seule chose à faire. S’en remettre aveuglément à l’expérience de Charton. Admettre qu’en tête le Dieu invincible prenait pour eux les décisions qui les sauveraient. Ils pouvaient tous se dire : « Peut-être ne comprenons-nous rien, mais Charton et Forget savent ce qu’ils font. »
Hélas ! La situation de Charton et de Forget était, depuis midi, pire que celle de leurs hommes. Car eux ne pouvaient plus compter sur personne. Ils venaient de recevoir de Lang-Son un message dramatique. Les prédictions les plus pessimistes de Charton se voyaient confirmées, et bien au-delà !
Non seulement Lepage et le B. E. P. avaient échoué dans leur tentative pour reprendre Dong-Khé, mais ils s’étaient vu contraints de fuir à l’ouest dans la jungle où ils se trouvaient harcelés de toute part. Ironie cruelle, c’était la colonne de secours qui désespérément réclamait de l’aide…
À l’arrière, c’est vers seize heures que la section Kress reçoit des instructions. On a trouvé la piste. Ou du moins ce que la végétation luxuriante a laissé de la piste abandonnée. Les ordres pour la position arrière changent. Kress et ses cinq légionnaires resteront les derniers, mais on largue tout. On ne conserve que deux jours de vivres, les armes légères et les munitions ; tout le reste doit être détruit. On fait sauter les véhicules, l’artillerie, on met le feu aux « trésors » des Chinois, mais l’ordre le plus atroce, le plus démoralisant, tombe en dernier. Kress prend lui-même l’écoute pour se le faire confirmer par le commandant Forget :
« Vous abandonnez les traînards ! Pas question de perdre une minute. Vous ne demeurez en position arrière qu’afin que le P. C. vous informe de sa vitesse de progression. Cette vitesse, vous devez la respecter. Passez devant tous ceux qui ne pourront pas suivre. »
Écœuré, Kress rend à Snolaerts le récepteur et marmonne entre ses dents :
« On va se farcir le boulot le plus dégueulasse du bataillon. On a devant nous près de deux mille civils, les trois quarts ne tiendront pas le coup, et nous sommes chargés de les contempler, sachant que nous les abandonnons à une mort certaine.
– Ils peuvent pas essayer de retourner à Cao-Bang, sergent ? interroge Castera.
– Ils se feraient massacrer sans pitié jusqu’au dernier, et ils le savent. Jamais le Viet-minh ne leur pardonnerait d’avoir tenté de nous suivre. Non, la seule chose que nous pourrions faire pour eux, ce serait de leur foutre une balle dans la tête au passage, ça leur éviterait un long supplice.
– Ils vont essayer de suivre. Dans un cas comme celui-ci ils puiseront sûrement en eux des forces insoupçonnées.
– Et les femmes enceintes ? Et les gosses ? Et les vieillards ? Tu penses qu’ils vont marcher à la cadence de Charton et de Forget ? »
Les quatre premières heures, tout le monde suit sans peine. La raison en est simple, la progression est d’une extrême lenteur, car, tandis que l’arrière se trouve encore sur la R. C. 4, l’avant a dû s’engager sur la piste qu’il faut
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