Par le sang versé
4. Lorsque, soit par radio, soit à vue, un convoi civil ou militaire est repéré, on cesse le tir pour lui laisser le temps de passer. À partir du col de Lung-Vaï c’est le salut pour tous les réchappés de l’enfer.
Le 10, l’ordre de repli est donné à tous les postes de la R. C. 4 à partir de That-Khé. Mattei devrait sans discussion évacuer ses positions. L’ennemi n’étant pas parvenu à déborder Na-Cham, le repli de sa compagnie ne représente aucun problème. Mais derrière, il reste encore à That-Khé la garnison, les parachutistes coloniaux du 3 e B. C. C. P., des civils, les quelques rescapés des colonnes Charton et Lepage, sans compter ceux qui vraisemblablement errent encore dans la jungle, espérant trouver le salut à That-Khé, et vont se trouver face à l’ennemi qui n’attend que le départ des Français pour s’installer.
Alors qu’il a parfaitement compris les ordres de Lang-Son, Mattei décide de ne plus attendre. Il appelle le P. C. de Constans, obtient le colonel en personne.
« Mon colonel, déclare-t-il avec une parfaite mauvaise foi, je viens de capter votre ordre d’évacuation de That-Khé. Je pense que vous allez me faire monter des renforts ?
– Vous vous foutez de moi, Mattei ! Ce sont tous les postes de la R. C. 4 qui se replient ! Vous comme les autres, vous le savez parfaitement ! Il y a suffisamment de casse comme ça.
– Mon colonel, si j’évacue Na-Cham, plus personne ne passe. C’est un massacre supplémentaire. Et sur mes talons, les viets prennent Dong-Dang en six heures ; même Lang-Son ne sera plus en sécurité. »
Constans fait machine arrière :
« J’y avais pensé, Mattei, mais c’était une responsabilité lourde à prendre que de vous faire rester derrière les autres.
– Je suis installé, je peux protéger le repli de la garnison de That-Khé ; elle aura suffisamment de mal à percer. Envoyez-moi si c’est possible l’appui de feu, et je vous affirme qu’au moins à partir de chez moi on passera.
– Je n’ai plus aucune artillerie disponible. Les seules unités dont je pourrais disposer sont deux compagnies disciplinaires de Sénégalais. Peut-être un peu plus, si je compte une centaine d’entre eux qui se trouvent en prison. Mais vous savez ce qu’ils sont, Mattei : des Nègres accusés de viols, de pillages, d’assassinats…
– Je ne suis pas raciste, mon colonel, envoyez-les, je m’en charge. Je tiens tant que je peux tenir. Après je vous rejoindrai.
– Parfait, Mattei. Les Sénégalais partent sur l’heure. Bonne chance… »
Rapidement, le capitaine réunit ses sous-officiers.
« Lang-Son nous envoie du renfort, déclare-t-il. Des disciplinaires sénégalais. Ce ne sont pas des enfants de chœur, mais je ne compte pas les employer à un travail d’enfant de Marie ! Dès qu’ils arriveront, démerdez-vous pour vous partager leur encadrement, et grimpez-les dans les calcaires. Jusqu’à preuve du contraire, j’exige que vous les considériez comme de bons soldats : pas de brimades, pas de coups de pied au cul.
– S’ils cherchent à tailler la route, mon capitaine ? interroge Klauss.
– Je ne pense pas que ce soit à redouter si vous savez les prendre. C’est-à-dire s’ils ne se sentent pas méprisés par vous. »
Encadrés par les légionnaires, les trois cents Sénégalais se révèlent une troupe courageuse et disciplinée. Na-Cham continue de tenir.
Pendant trois jours, une véritable rage s’empare des deux camps. Na-Cham et ses positions refusent de succomber. Plus au nord, la garnison de That-Khé et les parachutistes coloniaux du 3 e B. C. C. P., d’embuscade en embuscade, parcourent le chemin de croix de la retraite, mais Na-Cham tient toujours. Et les viets sont pris d’une colère frénétique contre cette poignée de combattants qui, imitant leur tactique, à l’abri dans les hauteurs, les empêchent de donner l’ultime coup de grâce aux unités qui se replient sur la R. C. 4.
Les 11 et 12, une horde désordonnée passe. Thabors en déroute, civils affolés, survivants d’unités massacrées, blessés, mourants, foule désespérée de vaincus harassés.
Le 13, quelques rescapés épars débouchent encore de la jungle ou de la route. Puis c’est le silence. Les viets renoncent à l’assaut de Na-Cham qui leur a déjà causé trop de pertes. L’étreinte se desserre. Du plan viet, c’est le seul échec.
Officiellement l’abandon de
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