Par le sang versé
l’ouest vers Hanoï, deux hommes avec moi. L’un d’entre nous restera au poste par roulement. Les patrouilles remonteront la voie ferrée, l’une vers le P. K. 30, l’autre vers le P. K. 41. Distance à parcourir : la moitié de celle qui nous sépare des postes voisins. Ils ont reçu les mêmes consignes et trois hommes partiront dans notre direction à la même heure. Dès que la jonction sera établie, on rentre. » Les hommes reposent leur gobelet vide, et sans attendre que Klauss poursuivre, Lefèvre déclare :
« Annoncez la couleur, chef. Vous n’auriez pas sacrifié une bouteille de cognac pour nous dire qu’on va faire une heure de culture physique tous les matins. »
Klauss sort de sa poche un paquet de troupe fripé, allume une cigarette et poursuit :
« Distance entre les trois hommes, cent cinquante mètres. L’homme de tête change après avoir parcouru un kilomètre. Tous les dix pas, il balance un coup de masse sur la voie. »
Les six légionnaires comprennent brusquement. « C’est dégueulasse, lance Bianchini. Ce n’est plus la guerre, c’est la roulette russe.
– Ce sont les ordres, tranche Klauss. Nous sommes tous logés à la même enseigne. En plus, depuis notre arrivée notre secteur est calme. Pensez que ce soir dans d’autres postes nous avons des copains qui ont vu sauter le train plusieurs fois et qui demain matin vont entreprendre le même boulot que nous. » Lefèvre à son tour prend la parole. « D’après ce qu’on dit, le train saute tous les jours à un endroit ou à un autre. Ce qui signifie qu’à partir de demain, l’un d’entre nous au moins sera rayé des effectifs. » Ruhmkorft interrompt :
« Entre Hanoï et Haïphong, nous allons être environ cent vingt à cogner sur les rails, c’est-à-dire que dans cinq mois il ne restera plus personne.
– Ce ne sont pas les hommes qui manquent. On comblera les vides », répond Klauss.
Ruhmkorft reprend :
« C’est pas possible, c’est vraiment trop dégueulasse. On pourrait au moins obliger les partisans à prendre les mêmes risques que nous. Ça augmenterait nos chances. »
KIauss hausse les épaules.
« Ils déserteraient séance tenante. Ils iraient en face poser les pièges avec les autres. Non, ce n’est pas nous qui trouverons la solution. Il n’y a qu’à exécuter et subir.
– C’est à voir : on ne peut pas pousser des wagonnets ?
– Pas assez lourd d’après les techniciens, et dans les montées… Et puis merde. Vous êtes des hommes, non ?
– Justement ! lance Benoit. C’est pas un travail d’homme. »
Klauss est à bout d’arguments. Il est du même avis que ses compagnons. Il conclut :
« Maintenant, vos gueules ! Vous pensez trop. Rassemblement demain à six heures. Un F. M. par groupe. Bonne nuit. »
L’aube du 4 février est terne. Ruhmkorft a été désigné pour rester au poste. Les six autres dévalent en silence le sentier sablonneux qui descend jusqu’à la voie. Deux d’entre eux portent sur l’épaule un lourd marteau à long manche. Arrivés sur la voie ils font une pause. Klauss croit bon d’expliquer.
« Les coups de masse risquent de faire péter une mine loin en avant : même en cas d’explosion, l’homme de tête n’est pas sacrifié à coup sûr. »
Il ne convainc personne. Benoit s’empare de la masse et dit :
« Ne vous fatiguez pas, chef ! On a compris… »
Il sort de sa poche son portefeuille et se débarrasse de sa montre et de sa chevalière. Il remet le tout au sergent (il sera le seul à adopter cette attitude). Puis il part en direction de l’est, d’un pas lent. Au bout d’une centaine de mètres il s’arrête et, dans un geste large, il frappe la voie d’un coup puissant. Il reprend sa marche et compte dix pas, puis il frappe de nouveau. Klauss et Kalish se mettent à leur tour en route à cent cinquante mètres l’un de l’autre. En sens inverse, sa lourde masse à la main, Vinkel est parti en tête, bientôt suivi par Lefèvre et Bianchini.
Il est aussi pénible pour Klauss et Kalish de marcher à l’arrière que d’être en tête. Ils ne peuvent chasser de leur esprit l’idée qu’à tout instant le camarade qui les précède risque d’être déchiqueté sous leurs yeux. Ils ont conscience également de la cible qu’ils offrent à un tireur caché dans la forêt qui les domine sur la gauche. (Pourtant durant les deux mois « pendant lesquels ces opérations furent
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