Par le sang versé
rabattent sur la rive. L’officier de marine rejoint les lieutenants Mulsant et Franclieu.
« Nous allons embarquer vos hommes sur place, déclare-t-il. Ces deux L. C. T. leur sont destinés. Inutile d’aller piétiner sur l’embarcadère. D’autre part j’ai pensé que du café chaud ne leur ferait pas de mal. Envoyez-les à bord, par petits groupes, on les servira. »
Une demi-heure plus tard, les deux L. C. T. des légionnaires prennent la tête du convoi. Les hommes sont déçus : vingt-quatre heures à bord d’un L. C. T. n’a rien d’une promenade sur un bateau-mouche ! Les légionnaires sont parqués dans le fond des navires légers. Ils ne peuvent apercevoir que le ciel et ils savent que lorsque les panneaux se baisseront, ils auront autre chose à faire qu’à admirer le paysage.
Vers dix heures du matin, le convoi atteint l’embouchure du fleuve Rouge. Le long chapelet d’embarcations arrivant d’Hanoï se joint à eux et la lente progression se poursuit. À midi le convoi est survolé par une vingtaine de Dakotas qui vont larguer deux compagnies de parachutistes sur Nam-Dinh.
Le 6 janvier, à trois heures trente du matin, l’armada se présente à l’embouchure du canal qui conduit à Nam-Dinh, le voyage s’est passé sans incidents.
Le L. C. T. de commandement navigue à trois cents mètres en tête. Les autres se suivent à une distance sensiblement plus faible.
Le lieutenant Mulsant et une cinquantaine de ses hommes sont passagers de l’embarcation d’ouverture. Quatre marins servent les pièces d’artillerie. Le lieutenant de vaisseau François se tient à l’arrière, debout auprès de l’homme de barre ; il est occupé à diriger la manœuvre rendue plus délicate par une forte brume.
Le brusque déclenchement d’un feu d’enfer auquel personne ne s’attendait crée un instant de surprise totale. Les obus de mortier pleuvent autour des embarcations. Par chance la brume protège le convoi du tir ennemi.
À leur tour, les 75 de marine ripostent, tirant à l’aveuglette, ne réussissant pas à faire faiblir l’intensité du feu viet.
Soudain, le troisième L. C. T. est touché de plein fouet par un obus de mortier et donne de la bande ; son commandant le dirige vers la rive qu’il parvient à atteindre. Le lieutenant de vaisseau François continue, toujours debout, à donner ses ordres. Au premier coup de mortier, il a seulement rabattu la jugulaire de sa casquette sous son menton, puis, avec un geste théâtral, il a fixé une cigarette sur son long fume-cigarette d’ambre. Handicapé par sa haute taille, François est le seul à ne pas pouvoir se protéger.
Le lieutenant Mulsant rejoint à l’arrière le lieutenant de vaisseau qui lui déclare :
« Je pense que nous devons tenter de débarquer nous aussi, sinon les survivants du L. C. T. qui vient de s’échouer vont se faire massacrer.
– À vos ordres », répond Mulsant. Et il hurle pour se faire entendre :
« Compagnie, prêts à débarquer ! Section de mortiers en tête ! Ouverture du feu dès que possible ! » Les hommes se redressent, passent les sangles de leurs sacs sur leurs épaules, vérifient leurs armes, crachent leurs mégots, arment leurs fusils, préparent leurs grenades.
Le L. C. T. est sur le point d’atteindre la rive quand le lieutenant de vaisseau François est atteint d’une balle en plein cœur. Il bascule en avant et s’effondre en contrebas sur les légionnaires. Mulsant se penche sur l’officier de marine, puis consulte sa montre et se tourne vers le radio.
« Transmettez : le lieutenant de vaisseau François tué par balle à 3 h 52. Le lieutenant de vaisseau Gallet prend le commandement. »
Mulsant cherche en vain de quoi recouvrir le corps de l’officier, mais le temps presse et il se contente de rabattre la casquette du marin sur son visage.
Une secousse apprend aux légionnaires que le L. C. T. vient de prendre contact avec la rive. Le panneau mobile se baisse lentement, ne laissant apparaître qu’une épaisse brume. Aussitôt, les mortiers disposés à l’avant font entendre leur sourd tapage ; les projectiles déchirent un instant la crasse opaque qui se reforme, instantanément, dense et inquiétante.
Le lieutenant Mulsant crie :
« Débarquement ! On établit une tête de pont à cinquante mètres ! Tirez devant vous ! En avant ! »
Les hommes se ruent en aveugles, trébuchant sur les moindres obstacles. Seuls les premiers
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