Par le sang versé
à l’autre. Lorsque Schmidt prend sa décision, il ignore s’il va tuer son compagnon ou le sauver, mais il est arrivé à cette terrible conclusion en quelques secondes : il n’y a rien d’autre à tenter.
Schmidt enlève sa chemise, elle est imprégnée de sueur et de boue, des brins de tabac sont restés collés aux poches, c’est une véritable puanteur. Néanmoins Schmidt en fait un gros tampon qu’il bourre dans le ventre du sergent. Puis il enlève sa ceinture et celle de son compagnon, et sangle l’invraisemblable pansement. Il peut alors charger tant bien que mal le blessé sur son dos et repartir vers la compagnie dans l’aube naissante.
Stimulé dans son effort par le souffle chaud et les gémissements de Maniquet dont les lèvres frôlent le lobe de son oreille, Schmidt ne pense pas aux viets qui peuvent venir de partout. Il marche, sans précaution, poussé par une seule idée : ramener le sergent.
Il parcourt le petit kilomètre qui le sépare des rives du fleuve, plus rapidement qu’à l’aller. Il distingue les formes, il voit à peu près où il met les pieds.
Quand il sent qu’il est proche du but, il se met à siffler l’indicatif de sa section. Trois mots échangés le font reconnaître, trois hommes se précipitent à son secours. Les légionnaires ont fortifié leurs positions ; derrière leur ligne de défense ils peuvent circuler. Du reste, depuis la neutralisation de leur canon les viets ne se sont plus manifestés.
Le lieutenant Mulsant s’est porté aux côtés du blessé, il sursaute quand il s’aperçoit de la nature du pansement confectionné par Schmidt.
« Je ne sais pas si j’ai bien fait, bredouille le légionnaire, mais je ne vois pas ce que j’aurais pu faire d’autre. Il est là et il est vivant…
– J’aurais fais comme toi. », répond Mulsant qui se demande s’il en aurait eu l’idée.
Un médecin de la Coloniale intervient et opère Maniquet sur place. Depuis l’instant où il a été atteint par l’éclat, le sergent n’a pas perdu connaissance. On le larde de piqûres de morphine et de pénicilline, il sera évacué parmi les premiers.
Moins de cinq mois plus tard, Maniquet rejoindra le bataillon frais comme une rose, après avoir été cité à l’ordre de l’armée en compagnie de Schmidt.
Vers huit heures trente, la brume se dissipe et les légionnaires font le point de la situation : ils se trouvent juste en face de l’endroit où ils devraient être, à une centaine de mètres tout au plus. Seulement ils sont de Vautre côté du canal. Ils distinguent nettement, sur la rive opposée, l’appontement de la Cotonnière qui est leur objectif et ils constatent amèrement qu’il n’y a aucune trace des parachutistes qui devraient l’occuper. Pour eux non plus, cela n’a pas dû être facile.
Le plan était pourtant net et précis : les parachutistes devaient se rendre maîtres de la Cotonnière et de son appontement. La 4 e compagnie de Légion devait débarquer en premier et renforcer la tête de pont pour permettre le débarquement et le rembarquement de l’ensemble de la garnison. On n’avait oublié que la brume. Et à l’heure où devrait commencer l’évacuation des civils, plus de 2 000 hommes se trouvent massés sur la rive opposée du canal et les parachutistes sont perdus au milieu des troupes viets…
Mulsant, Gallet et de Franclieu ne peuvent que constater les faits. Ils se demandent comment traverser le canal jusqu’à l’appontement. La réponse leur est rapidement dictée par un feu d’armes automatiques qui se déclenche sur eux depuis la Coton nière. Les viets y sont retranchés, bien à l’abri et solidement armés.
Mulsant et de Franclieu ont compris qu’il n’y a qu’une solution et qu’elle est tragique. La Cotonnière ne peut-être investie que par le fleuve. Or un seul L. C. T. peut tenter d’apponter devant ses bâtiments. Les premiers hommes débarqués auront environ vingt-cinq mètres à parcourir à découvert. Et il n’est pas question de faire précéder le débarquement par un tir d’artillerie, les locaux de la Cotonnière étant destinés à servir de camp retranché à la 4-compagnie.
Mulsant questionne le lieutenant de vaisseau Gallet.
« Combien d’hommes peut-on entasser à bord d’un seul L. C. T. pour parcourir la largeur du canal ?
– Sans danger, le double de la capacité prévue, c’est-à-dire une centaine. Ils seront serrés comme des sardines,
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