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Par le sang versé

Par le sang versé

Titel: Par le sang versé Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Paul Bonnecarrère
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sortis tirent, les autres craignent de se blesser entre eux. Heureusement le tir de l’enne mi est aussi confus que le leur, et les légionnaires parviennent à s’installer, cherchant à tâtons des abris de fortune.
    Derrière un aréquier, Mulsant évalue les forces qui lui sont opposées. Il pense que les viets sont en train de les bluffer magistralement. Ils ne doivent pas avoir plus de trois armes automatiques et quelques fusils. Mais leur canon de 75, admirablement servi, risque à lui seul d’anéantir la compagnie dès qu’elle sera repérée. Pour l’instant, les coups continuent à tomber sur le fleuve autour des embarcations.
    En quête d’instructions, le sergent-chef Maniquct a rejoint Mulsant.
    « Mon lieutenant, le canon il faudrait faire quelque chose ?
    –  Vas-y avec une section.
    –  Si vous êtes d’accord, j’y vais avec un seul rombier. Ça passe ou ça passe pas.
    –  D’accord. Fais pour le mieux. »
    Maniquet s’éloigne. Derrière les légionnaires tapis tous les trois ou quatre mètres, il siffle brièvement les quatre premières notes de la 5e Symphonie de Beethoven qui composent l’indicatif musical de sa section. Au bout d’un instant, le même sifflement lui répond et reprend toutes les dix secondes, le guidant par l’oreille jusqu’à ses hommes. Lorsqu’il atteint ses légionnaires, il lance brièvement :
    « Schmidt est là ?
    –  Ici, chef, répond l’Alsacien.
    –  Tu me suis, on va au cinéma. » (On ignore l’origine de cette expression qui désigne, dans la Légion, les coups durs.)
    Les deux hommes s’éloignent en sautillant, ils tentent de s’orienter d’abord d’après le son des percussions, puis ils aperçoivent à travers le brouillard la lueur qui suit chaque détonation. Entre chaque coup, ils bondissent en avant. Au bout d’une demi-heure de progression, ils arrivent à circonscrire l’emplacement de tir. Il se trouve dans une clairière. Le 75 est servi par trois soldats viets ; les légionnaires les distinguent parfaitement car ils emploient une lampe électrique pour armer la pièce et rectifier leur tir.
    « C’est du nougat, murmure Schmidt.
    –  Ça en a l’air, mais les autres ne doivent pas être loin. Je prends le type à la lampe, tu prends les deux autres. »
    Avec la précision des fusils Enfield, il leur est impossible de manquer leur cible à cette distance. Les trois viets s’écoulent presque ensemble et Maniquet s’élance. Il dégoupille deux grenades qu’il dispose à deux points précis du canon. Leur explosion va enrayer tous les câbles de commandes de la pièce d’artillerie. Maniquet se précipite à l’abri d’un talus qu’il a repéré. Les grenades explosent, détruisant le 75 viet, et le sergent se relève quand un obus de mortier éclate à quelques mètres de lui (selon toute vraisemblance il a été, hélas ! tiré par la Coloniale qui ignorait la mission des deux légionnaires). Maniquet est atteint d’un éclat en plein ventre. Il tombe à genoux, portant instinctivement ses mains sur la blessure ouverte, puis il roule sur le côté les jambes repliées en l’air. Son corps est secoué de soubresauts et sa tête dodeline mollement.
    Contre toute prudence, Schmidt s’est précipité à découvert. Il tire le sergent à l’abri dans la forêt, il l’a saisi aux aisselles et fait glisser le corps sur la terre. Maniquet se tient toujours le ventre et conserve les genoux à hauteur du menton. Lorsque Schmidt se sent en sécurité, il tente d’évaluer la gravité de la blessure. Maniquet a conservé toute sa lucidité. Il marmonne :
    « Oh ! Putain, ça brûle ! Oh ! Putain, ça brûle… »
    Le blessé veut voir. Il écarte ses mains et les deux hommes horrifiés s’aperçoivent que ses tripes sont à l’air, prêtes à se répandre.
    En un éclair, Schmidt revoit la campagne de Narvick. Le même cas. Un capitaine atteint d’un éclat au ventre. Le même spectacle écœurant. Les tripes. Schmidt revoit l’infirmier, sa décision instantanée, ses gestes précis. Il avait bourré le ventre d’énormes paquets d’ouate. Il avait sanglé la blessure obstruée avec des ceinturons et on avait évacué l’officier. Schmidt hésite un instant ; évidemment il n’a pas d’ouate, mais il est impensable, dans son état, de faire parcourir un mètre de plus au blessé. D’autre part, rester sur place serait un véritable suicide : les viets peuvent arriver d’une minute

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