Par le sang versé
le bilan des pertes :
« Tués : sergents Bœr et Monnier, caporal-chef Buckowski, légionnaires Napiera, Steck, Volinsky, Chassagne et Bruges.
« Blessés graves : sergents Caussade et Vaffel.
« Blessés légers : sous-lieutenant Landel, légionnaires Inbach et Cinoli.
« Évacués : sergents-chefs Ponticaccia et Maniquet, caporal Boulinguez, légionnaires Brœsse, Hisler, Wolff, Swinzikowki, Heler et Rabke. »
Huit tombes sont creusées dans un cimetière improvisé, près du bord du canal. Une section présente les armes. Un clairon sonne Aux Morts, Osling prononce quelques mots conventionnels, émouvants.
La vie du sergent-chef Karl Osling mérite d’être contée. Fils unique d’un médecin militaire et d’une doctoresse, tous deux Allemands, il est né à Stuttgart en 1910. Cinq ans plus tard, son père est tué au front.
Dès la fin de la Grande Guerre, la doctoresse Osling épouse un chirurgien français et c’est en France que le petit Karl poursuit ses études. En 1929 il entre à la faculté de médecine de Paris, et, peu après, âgé seulement de vingt ans, il épouse une camarade de la faculté, Françoise Simond, fille d’un dentiste israélite 1 . De cette union naît un an plus tard un fils, Pierre Osling. Mais Karl Osling n’a jamais renoncé à sa nationalité allemande, et, tout en poursuivant ses études en France, il se passionne pour l’avènement du nazisme.
En 1932, sa mère meurt de tuberculose. Son mari beaucoup plus âgé ne lui survit que de quelques mois. Le docteur Simond subvient alors aux besoins de son gendre et de sa fille pour leur permettre de poursuivre leurs études. Les jeunes Osling et le petit Pierre cohabitent avec le dentiste israélite dans un appartement du boulevard Voltaire. En 1936, Karl obtient son diplôme de docteur en médecine, mais la situation est devenue intolérable dans son ménage ; Karl et Françoise divorcent.
Pendant que le petit Pierre, âgé de cinq ans, est laissé à la garde de sa mère, Karl Osling gagne l’Allemagne où il devient rapidement médecin militaire dans l’armée allemande. Durant toute la guerre une crise de conscience torturera le docteur Osling. Il est sans nouvelles du dentiste juif qui paya ses études, de son ex-femme juive et de son fils demi-juif qu’il cherchera discrètement, en vain, pendant l’occupation.
Au début 1944, en Toscane, le capitaine-médecin Osling n’en peut plus. Il déserte et parvient à se faire incorporer dans les rangs de la 13e Demi-Brigade de Légion étrangère qui a besoin d’infirmiers et d’interprètes. Il débarque avec la Légion dans le Midi de la France et obtient ses galons de sous-officier et plusieurs citations.
Quelques semaines avant son départ pour l’Indochine, au cours d’une permission, Karl Osling cherche encore à obtenir des nouvelles de son fils. Il se rend au cabinet dentaire du boulevard Voltaire. Avec stupéfaction il trouve son ex-femme, son ex-beau-père et son fils qui est alors âgé de quatorze ans. Françoise Simond s’était remariée juste avant la guerre. Son mari est parvenu à cacher les Simond et le petit Pierre Osling pendant l’occupation. Tous croyaient Karl mort et ne s’en souciaient guère. Le vieux dentiste juif insulte son ex-gendre, le chasse devant son fils. Le légionnaire reprend la route de Marseille pour rejoindre sa nouvelle affectation au 3 e Étranger.
Depuis, chaque semaine, il écrit à son fils sans jamais recevoir de réponse et ne vit que dans l’espoir de pouvoir le revoir un jour.
Karl Osling est aujourd’hui âgé de trente-sept ans. Il est bâti tout en longueur et il serait probablement maigre s’il n’entretenait pas sa musculature avec une conscience méticuleuse. Ses cheveux coupés ras sont blancs comme la neige depuis des années, et seule, une longue cicatrice sur la joue gauche dépare son visage régulier. La vivacité de ses yeux gris contraste avec l’éternelle mélancolie qui enveloppe ses traits.
Vers quatorze heures, Osling se dirige à grands pas vers le poste Jung installé dans la centrale électrique.
Un couple d’israélites, Michel et Salah Sannanès, était demeuré avec les légionnaires assiégés. Salah n’a plus que quelques instants à vivre. Grièvement blessée par des éclats de grenade quatre jours plus tôt, elle agonise lentement et a été jugée intransportable. Michel a refusé de quitter sa compagne. Il est instituteur, elle donnait des leçons
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