Par le sang versé
s’il s’agissait d’une manœuvre cent fois répétée et comme s’ils ne couraient aucun danger.
Deux fusils mitrailleurs sont mis en batterie, l’un sur le trottoir de droite, l’autre sur le trottoir de gauche. Ils ouvrent le feu simultanément dans les fenêtres sans volets, situées respectivement de l’autre côté de l’avenue. Vitres, montants, poignées volent en éclats. Alors, de chaque côté, à l’instant même où les armes automatiques cessent le feu, deux légionnaires bondissent et jettent chacun une grenade à l’intérieur. Plaqués contre le mur, ils attendent l’explosion, puis, avec une souplesse de félin, ils sautent à l’intérieur, tirent une rafale de mitraillette circulaire, ressortent et font un geste vers l’arrière pour signaler que le rez-de-chaussée est ouvert. Les deux tireurs de fusils mi trailleurs ont avancé de quelques mètres et de nouveau ouvrent le feu sur les deux fenêtres suivantes, les lanceurs de grenades répètent les mêmes gestes et la progression se poursuit lentement.
Dans deux des rez-de-chaussée, des soldats viets sont parvenus à fuir dans les étages ; dans un troisième, un groupe de quatre combattants a été massacré. Toutes les autres pièces investies étaient vides. Au fur et à mesure de la progression la compagnie occupe les pièces, assurant ainsi le passage sur l’avenue, et à onze heures le sergent-chef Osling établit la liaison avec le sous-lieutenant Colin commandant la compagnie de la Coloniale qui occupe la banque.
Les légionnaires sont amusés par le décor. Certains guichets sont intacts. À part les sacs de sable qui protègent toutes les ouvertures, le grand hall est net et proprement entretenu, les inscriptions classiques sont demeurées : « Caisse », « Titres », etc. Derrière la caisse, un gros coffre-fort clos attire l’attention de deux légionnaires qui s’en approchent contemplatifs. Le lieutenant Colin leur enlève leurs illusions :
« Ne vous fatiguez pas à évaluer la charge de plastic nécessaire, prenez plutôt la clef. »
Étonné, l’un des légionnaires se saisit de la clef que lui tend l’officier, l’introduit dans la serrure et fait pivoter la lourde porte. Le coffre est rempli de rations « pacific ». Le légionnaire referme, rend la clef et se retourne écœuré.
Osling et Colin s’installent dans le bureau directorial. Le sergent-chef explique au lieutenant que la Légion a pour mission de tenir la Cotonnière. Colin sait déjà que sa compagnie conserve ses positions. Outre la banque, les Coloniaux sont maîtres des deux immeubles contigus, dont l’un fait angle avec une rue perpendiculaire. Ils ont suffisamment de provisions et de munitions pour soutenir un long siège. Osling règle ensuite avec le lieutenant les détails concernant leur liaison radio, puis ils conviennent que, chaque jour, une patrouille tentera d’effec tuer un va-et-vient entre les deux camps retranchés. Sur l’échiquier du siège, les pions sont en place.
L’évacuation des civils se poursuit toute la nuit sans qu’un coup de feu soit tiré. Le commandant d’Aboval ne s’était pas trompé. Les viets n’ont aucun intérêt à engager le combat tant qu’on ne cherche pas à les déloger de leurs positions. Ils ignorent évidemment que deux postes français vont demeurer et ils doivent penser que dans quelques heures ils seront maîtres absolus de la ville. Ils imaginent qu’ils sont en train de remporter une victoire sans courir le moindre risque de pertes supplémentaires.
Civils et blessés sont entassés dans les embarcations qui ont établi une navette et se succèdent à l’appontement de la Cotonnière. Sur l’appontement et dans la cour centrale de la manufacture, des familles entières attendent leur tour, conservant sur leurs visages anxieux les marques de la peur. Aucune panique, aucune nervosité chez ces gens qui obéissent avec une confiance aveugle à ceux qui viennent de se battre pour les délivrer.
À l’aube du 7 janvier, le dernier L. C. T. quitte Nam-Dinh sans encombre. Les légionnaires n’ont pas dormi depuis quarante-huit heures et ce sont des hommes harassés, sales, épuisés, qui se retrouvent coupés du reste du monde, encerclés par un ennemi plus de dix fois supérieur en nombre.
7.
L E premier soin des légionnaires assiégés fut d’enterrer leurs morts. Devant la compagnie rassemblée le sergent-chef Osling lut à haute voix
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