Par le sang versé
de musique ; ils étaient installés à Nam-Dinh depuis trois ans.
Quand Osling entre dans l’infirmerie de fortune, la malheureuse est allongée sur un lit de camp ; son mari, assis sur un tabouret, lui tient la main, luttant pour ne pas laisser paraître son émotion. Un quart d’heure plus tard, le sergent-chef ne peut que constater le décès. Une neuvième tombe sera creusée près du fleuve et Salah Sannanès y sera inhumée au crépuscule.
Après la brève cérémonie, l’ancien médecin militaire nazi éloignera le petit instituteur juif en le tenant paternellement par les épaules, puis pour ne pas le laisser seul, il lui installe un lit de camp dans la chambre qu’il va partager avec le sergent Leroy.
Et le siège commence.
Le camp retranché de la Cotonnière se compose de nombreux bâtiments répartis sur une assez grande superficie. Le mur d’enceinte de la manufacture ne constitue qu’un rempart insuffisant, mais les légionnaires ont transformé plusieurs villas d’habitation en véritables blockhaus qui, par leurs feux croisés, ne permettent aucune approche ennemie.
En revanche, toute sortie du camp se révèle mortelle. La liaison quotidienne prévue avec la compagnie de la Coloniale retranchée dans la banque cause la mort de quatre légionnaires et doit être supprimée. Seul, un contact radio unit maintenant les assiégés.
Les légionnaires s’habituent pourtant à leur nouvelle vie. Les bâtiments où ils restent nuit et jour sur le qui-vive sont frais ; la bière et le tabac ne manquent pas et on peut, sans trop de risques, s’aventurer jusqu’au bord du canal pour y pêcher. Un autre facteur rendit le siège supportable : dans la nuit du rembarquement de la garnison, trois prostituées françaises avaient plaidé leur cause auprès du sergent-chef Osling :
« Tu comprends mon grand, avait expliqué Thérèse, une grosse Savoyarde, pour nous ça peut-être l’occasion de ramasser assez de pognon pour se payer notre retour en France. Si nous restons avec vous on va nous porter disparues et on pourra échapper à l’organisation qui nous rançonne. »
Osling se moquait pas mal de l’avenir de ces dames, mais il avait pensé à ses légionnaires. Évidemment, la présence de trois putains dans le camp retranché serait une source de tracas, mais les avantages l’emportaient et il avait pris sur lui d’accorder aux filles de demeurer parmi eux. Il ne s’était pas trompé. Thérèse, Yvonne et Sonia remontaient maintenant le moral de tous, davantage par leur présence, leur constante bonne humeur et leurs plaisanteries gouailleuses que par l’exercice proprement dit de leur « métier ». Pourtant, elles étaient loin de chômer.
Osling s’en aperçoit lorsque Thérèse, ambassadrice du trio, lui demande audience.
« Que veux-tu ? Je n’ai pas de temps à perdre, déclare-t-il sèchement.
– Ben voilà, mon grand, les hommes sont raides.
– Comment ça ?
– Eh bien, c’est pourtant facile à comprendre, il y a une semaine en arrivant, ils avaient tous un peu de pognon, maintenant ils n’en ont plus. »
Osling rit franchement :
« Comme vous êtes toutes les trois la seule source de dépense du poste, je ne peux que conclure qu’en une semaine, tout l’argent d’une centaine d’hommes est passé dans vos sacs à main. Bravo, vous n’êtes pas fainéantes.
– Faut pas pousser, mon grand, il y a pas loin d’une dizaine de pédés parmi tes héros !
– Quatre et je les connais, interrompt Osling, qu’attends-tu de moi ?
– Je vais te dire : Yvonne, Sonia et moi, on serait prêtes à faire crédit si tu trouvais un moyen sérieux de nous assurer le remboursement.
– Non mais, tu te fous de ma gueule ? Tu crois que je vais établir la comptabilité des coups tirés par les hommes ? Pour qui me prends-tu ? Démerdez-vous avec eux ! Si vous voulez leur faire crédit, ça ne me regarde en rien, ils vous rembourseront à Haïphong quand ils toucheront leurs soldes.
– Tu rigoles, sergent ! Tu nous vois courir après tes légionnaires avec des reconnaissances de dettes ? Ah ! On aurait bonne mine. Rien à faire. Si tu trouves pas une solution qui nous donne toute garantie, c’est simple : on baise plus… »
Sur quoi, Thérèse, hautaine et décidée, tourne sur ses talons et disparaît laissant Osling pensif et inquiet. Si les filles se refusaient réellement, ça pouvait mal tourner.
Quelques heures
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