Par le sang versé
choisir. »
Ickewitz qui se tient près d’eux a entendu la question. Il porte deux bambins sur ses bras repliés. Sur ses épaules une petite fille dort, la tête reposée sur son képi blanc. Il croit bon de lancer à haute voix :
« Pourquoi elles traversent pas à poil, mon lieutenant ? On portera leurs fringues ? »
Mère Clotilde le foudroie du regard, mais c’est à Mattei qu’elle s’adresse, montrant qu’elle le tient responsable de tout.
« J’espère que vous saurez sanctionner la goujaterie de cet homme ?
– Ma mère, je vous ai posé une question, réplique Mattei agacé. Ne perdons pas de temps.
– Nous traverserons sans votre aide », déclare solennellement la religieuse.
Mattei fait un signe aux quatre éclaireurs de tête qui s’engagent dans l’eau, tenant leurs armes à bout de bras et, aussitôt parvenus sur la rive opposée, s’y installent en position de défense.
Le lieutenant fait alors signe à Ickewitz et à la première novice. Le géant pénètre à son tour dans le flot boueux, faisant de son mieux pour maintenir les enfants au sec. Après une brève hésitation, la novice suit le légionnaire et se trouve bientôt plongée dans l’eau jusqu’au cou. Elle semble ravie de ce rafraîchissement et c’est en riant qu’elle prend pied de l’autre côté.
Bien qu’il fût prévisible, le spectacle qu’elle offre coupe le souffle du lieutenant et fait blêmir mère Clotilde.
La robe de voile fin de la religieuse est trempée ; adhérant à son corps d’adolescente, elle en dessine les formes rondes et souples. Ickewitz s’est assis sur une pierre, il contemple béat la jeune Annamite en hochant la tête. La petite fille qui dort toujours, dérangée par le mouvement, frappe le képi de son petit poing, puis se replonge dans son sommeil en suçant son pouce.
Malgré sa gêne, mère Clotilde s’abstient de tout commentaire, elle évite ainsi le : « C’est vous qui l’avez voulu » que s’apprêtait à lui répliquer Mattei.
« C’est bon, lieutenant, dit-elle, que vos hommes les portent. »
Mattei déclare, s’adressant à ses hommes :
« Chacun de vous va transporter une sœur, puis il reviendra chercher les enfants. »
Le premier légionnaire soulève une novice dans ses bras sans aucun effort. Au milieu de l’arroyo, sous prétexte de la surélever, il plaque sa main sous les fesses de la jeune fille.
Mère Clotilde semble à bout de force et d’argument.
« Dois-je vraiment contempler ces gestes grossiers sans intervenir, lieutenant ? » Mattei est excédé. Pourtant il ordonne : « Transportez-les sur vos épaules. » Un légionnaire se met à quatre pattes, fait signe à une religieuse et déclare, ravi :
« Il faut relever votre robe, ma sœur ! » Hors de lui, Mattei hurle :
« Sur une seule épaule, nom de Dieu, et arrêtez ces conneries séance tenante. Vous devriez avoir honte de traiter ces femmes comme des putes ! »
Curieusement, mère Clotilde paraît plus tolérante, elle constate seulement :
« Je pense que nous devrions nous faire à votre langage, lieutenant. » Mattei marmonne :
« Je vous prie de m’excuser, ma mère, tout ceci est tellement inattendu… Vous admettrez, je l’espère, qu’il devrait être plus aisé pour vous de nous comprendre et de nous tolérer que pour moi de transformer ma compagnie en un groupe d’enfants de chœur… »
Le lieutenant et mère Clotilde sont restés les derniers sur la berge, surveillant et dirigeant le passage. Après la traversée du dernier légionnaire et de la dernière novice, Mattei fait signe à Ickewitz de revenir vers eux.
« Cet orang-outang va vous porter, ma mère, annonce-t-il ; avec sa taille vous ne risquez pas de vous mouiller. » Mère Clotilde hausse les épaules, indifférente. Le géant saisit la religieuse dans ses bras, satisfait comme chaque fois qu’il peut faire la démonstration de sa force, et s’engage dans l’arroyo, suivi du lieutenant.
Au milieu du cours d’eau, à l’endroit où il sait qu’il va s’enfoncer, il s’arrête et embarrassé, interroge Mattei.
« Mon lieutenant ! Ou je la soulève ou elle se mouille les miches… »
Mattei est étonné de la réaction de la religieuse qui, pour la première fois, lui sourit. De sa canne qui pend le long du dos du géant, elle frappe deux petits coups et déclare :
« Faites pour le mieux, jeune homme, mais finissons-en. »
La colonne a
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