Par le sang versé
Nam-Dinh, Thai-Binh. Mais dans le sud tonkinois un abcès hante les autorités. C’est la ville de Ninh-Binh ; protégée par sa situation géographique elle a été transformée en une véritable forteresse géante. Les viets déclarent la ville imprenable. Le haut commandement français est exactement du même avis.
Impossible d’envisager une approche par la jungle : des centaines de digues ont sauté, le terrain est un véritable marécage dans lequel une armée entière serait massacrée à force d’embuscades. L’attaque par le fleuve ne présente guère plus de chances de succès. L’affluent qui ouvre l’accès de Ninh-Binh est étroit ; sur deux kilomètres, il ne présente pas la moindre courbe et aboutit à une paroi rocheuse haute d’une cinquantaine de mètres qui constitue un rempart naturel inexpugnable. La falaise calcaire est criblée de trous que les viets ont aménagés en blockhaus. Deux cents mètres de terrain à découvert la séparent du fleuve et, bien entendu, cette plage est minée, piégée mètre par mètre. Deux bataillons viets (1 500 à 2 000 hommes) tiennent la citadelle et, le long du canal d’accès, de nombreuses pièces d’artillerie légère sont dissimulées dans la forêt.
L’opération combinée qui avait réussi à Nam-Dinh est impossible à Ninh-Binh. Le débarquement frontal avec l’aide de la marine paraît aléatoire. Les abords ne présentent aucun terrain où l’on pourrait envisager le largage de parachutistes. Le bombardement intensif de la ville est irréalisable à cause de la densité de la population civile. Aussi en haut lieu on renonce, amèrement, à l’objectif Ninh-Binh, redoutant un échec sanglant et le retentissement moral qu’il aurait sur l’ennemi.
Le 18 juin 1947, une nouvelle transmise à Hanoï par le 2 e Bureau va tout remettre en question. Elle est tellement logique que nul ne met en doute son authenticité : Ho Chi Minh et son état-major ont établi leurs quartiers à Ninh-Binh. La conquête de la ville pourrait donc changer le cours de la guerre d’Indochine.
Dans le début de l’après-midi, le commandant Laimay réunit les chefs des compagnies du 1 er bataillon qui sont, maintenant, toutes regroupées à Hanoï. Il expose qu’une opération va être tentée le 21 sur la citadelle viet-minh. Seul le 1 er bataillon du 3 e Étranger participera au débarquement. Les officiers ne se leurrent pas, mais sont obligés de reconnaître la sagesse de cette décision. Tant qu’à tenter une opération suicide, autant vaut limiter la casse ! Lancer à l’assaut de Ninh-Binh des vagues successives ne servirait à rien. La marine ne peut engager qu’un nombre restreint de ses unités légères sur l’affluent d’accès. Si les premiers hommes ne parvenaient pas à s’implanter et se faisaient massacrer, les vagues suivantes subiraient le même sort. En revanche, si le millier de légionnaires surentraînés qui forment le 1" bataillon parvenaient à enlever les premières positions de l’ennemi, ils n’auraient besoin d’aucun renfort pour poursuivre leur avance.
Dans la nuit du 20 au 21 juin, les légionnaires sont de nouveau passagers de la Marine. Ils descendent le cours du Day. Il y a en tout une vingtaine d’embarcations. Dans les premières lueurs de l’aube, les L. C. T. de tête s’engagent dans l’étroit affluent Ion-géant la rive gauche où les concentrations viets sont moins à redouter. Loin devant eux, les hommes aperçoivent l’hallucinant rocher dont la masse blanchâtre semble déchirer la forêt. Le plan mis au point par le commandant Laimay se déclenche brusquement. Les mortiers et les fusils mitrailleurs massés sur le côté droit des embarcations ouvrent un feu continu et rapide. Les hommes ont reçu l’ordre de ne pas viser, de ne rien chercher à voir ou à comprendre, ils doivent simplement tirer. Tirer le plus possible, le plus vite possible dans la direction de la forêt. Des munitions ont été embarquées en conséquence.
Une grêle de plomb s’abat sur la rive, désemparant l’ennemi dont la riposte manque de précision. À bord des petites embarcations blindées les légionnaires se piquent au jeu. Les chargeurs de mortier jonglent avec les obus, rechargeant les pièces brûlantes à une cadence étourdissante. De leur côté, les tireurs et les chargeurs de fusils mitrailleurs font preuve de la même virtuosité. Les armes automatiques crachent au hasard sans la moindre
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