Par le sang versé
Elle porte les manches de sa robe retroussées au-dessus du coude, découvrant des bras vigoureux ; une ceinture de scout serre sa robe à la taille. Sa voix douce gasconne légèrement et elle semble ne jamais parler sans sourire. Avant de rejoindre Osling et Mattei, elle tente de calmer l’agitation des novices, en frappant dans ses mains. Enfin elle s’adresse aux deux hommes.
« Bonjour, messieurs, je vous prie d’excuser la dissipation de ces enfants et de la mettre sur le compte des heures pénibles que nous venons de subir.
– Je comprends parfaitement, ma mère, répond Mattei, souriant.
– Si vous voulez me suivre au réfectoire, je vais faire préparer du thé et du riz. Vos hommes apprécieront, je pense, et nous pourrons bavarder.
– Je vous remercie, ma mère. Avec plaisir. »
Mattei fait un signe aux guetteurs, et suivis des novices et des enfants, les légionnaires gagnent le vaste réfectoire. Mère Marie-Madeleine lance des instructions aux sœurs afin qu’elles préparent la légère collation, puis elle interroge Mattei :
« Auriez-vous un médecin avec vous, monsieur ? L’une des jeunes filles a été prise d’une crise nerveuse cette nuit, depuis elle demeure prostrée et m’inquiète.
– Le sergent est médecin, répond Mattei en désignant Osling. Vous pourrez le conduire auprès de votre malade quand vous voudrez. »
L’étonnement de la religieuse ne passe pas inaperçu d’Osling qui préfère expliquer :
« Dans l’armée allemande, j’étais officier.
– Ah ! Je vois, constate mère Marie-Madeleine confuse, pardonnez-moi. »
Un contact rapide s’établit entre la religieuse et les légionnaires. Mère Marie-Madeleine se révèle une intarissable bavarde, pleine d’optimisme et de gaieté. À la fin du léger repas, c’est presque sur le ton de la confidence que le dialogue se poursuit entre le lieutenant et la religieuse.
« Je ne devrais pas vous dire ça, monsieur, chuchote mère Marie-Madeleine, mais je crains qu’entre la mère supérieure et vous, les contacts ne soient délicats.
– Ça, vous pouvez le dire ! J’aurais dû éviter de faire briser ces vitraux ! »
La religieuse semble torturée par un cas de conscience, puis enfin elle se décide à expliquer :
« C’est que voyez-vous, monsieur, il ne s’agit pas que des vitraux ! Nous avons été prévenues à l’aube par le téléphone qui, Dieu merci, fonctionnait encore, que c’était la Légion étrangère qui venait à notre secours. Nous sommes par la force des événements suffisamment au courant des choses militaires pour savoir que vos unités sont composées en majorité d’anciens soldats allemands… »
La religieuse rougit en croisant le regard d’Osling et poursuit :
« Mère Clotilde, notre mère supérieure, appartient à une grande maison de nobles lorrains. Toute sa famille a été déportée et exterminée par les nazis. Depuis elle lutte avec l’aide de Dieu pour chasser de son cœur le sentiment de haine que lui inspirent les bourreaux des siens, auxquels elle assimile la race germanique tout entière. Elle sait que ce sentiment est indigne de la robe qu’elle porte et de la foi qu’elle professe. Et moi je sais que, de toutes ses forces, elle prie pour que le Seigneur lui donne le courage de pardonner. Hélas ! je crains qu’elle n’y soit pas encore parvenue.
– Ça nous promet de beaux jours », constate amèrement Mattei.
Au bout de la table, Ickewitz fanfaronne, entouré d’un petit groupe de novices qui semblent boire ses paroles.
« Avec la Légion, partout vous êtes en sécurité ! Nous sommes toujours les plus forts ! déclare-t-il solennellement. Si vous avez peur sur la route, restez à côté de moi, je suis le plus solide de la compagnie et si les viets nous attaquent : ta ta ta ta ta… »
Le géant, dans un geste enfantin, décrit des demi-cercles avec un fusil mitrailleur imaginaire. Furieux, Mattei l’interrompt :
« C’est fini ce numéro, gros guignol ! Va plutôt dire à Klauss de rassembler les hommes. On taille la route dans un quart d’heure. »
Ickewitz se lève, rigide, et salue dans un garde-à-vous qu’il veut spectaculaire. Il lance d’une voix martiale : « À vos ordres, mon lieutenant ! » puis s’éloigne, droit comme un pieu, de sa lente démarche de parade, laissant Mattei en proie à un sentiment d’anxiété. La plupart des hommes vont adopter une attitude voisine
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