Par le sang versé
promenade.
– Non, mon lieutenant. Moi je pense tenir, mais les hommes ? Vous croyez que tous pourront suivre cette cadence ?
– Vous les avez choisis en conséquence, non ? Où voulez-vous en venir ?
– Vous le savez très bien. Mais puisque ça vous amuse de me l’entendre déclarer, alors, mon lieutenant, je vous pose la question : que ferons-nous si l’un d’entre nous craque ? »
Mattei d’un geste familier plisse le front et hausse les sourcils.
« Allons Klauss ! Vous ne l’ignorez pas : on abandonnera les défaillants éventuels. Si possible à proximité d’un village.
– Vous savez ce que ça signifie ?
– Nom de Dieu, Klauss, ne compliquez pas ma tâche ! Vous croyez que ça m’amuse ? On leur laissera une arme. Du reste, prévenez-les.
– Inutile, mon lieutenant, ils le savent tous.
– Alors, à quoi riment vos questions ?
– Je voulais savoir si, en aucun cas, vous n’envisageriez de renoncer, mon lieutenant.
– En aucun cas ! Même si je reste seul. Foutez-vous tous ça dans le crâne, et maintenant en route. »
La halte a duré seulement une vingtaine de minutes. Le commando, en silence, reprend la poursuite.
Peu avant dix-sept heures, le village n’est toujours pas en vue. Klauss et Osling se portent au pas gymnastique à hauteur du lieutenant.
« Santini dégueule, mon lieutenant, annonce Osling. Il s’est déjà arrêté deux fois, il est à la traîne. »
Mattei tique. Un homme qui ne peut pas suivre le premier jour, c’est la vacherie ! Et Santini en plus !
L’abandonner après sa conduite de la veille serait monstrueux. Pourtant, Mattei ne s’arrête pas et c’est en gardant son allure qu’il questionne Osling :
« Qu’est-ce qu’il a ? C’est grave ?
– Il a dû abuser de schoum ou d’autres saloperies, mon lieutenant, il peut-être d’aplomb après quelques heures de repos.
– Dites-lui qu’on laissera des traces, il nous rejoindra s’il peut.
– Mon lieutenant…
– … C’est un ordre, Osling. Ne nous épuisons pas en paroles inutiles. »
Les deux sergents s’arrêtent le temps de laisser passer la colonne et s’aperçoivent, surpris, que Santini est bizarrement juché en travers sur le sac d’un légionnaire à peine plus grand que lui. L’homme paraît pourtant supporter sans effort ce fardeau supplémentaire. Il fait un signe de tête et dit simplement :
« Ça ira. »
Klauss reprend son pas de course et à nouveau rejoint le lieutenant :
« Il y a un gus qui porte Santini, mon lieutenant. Je crois que ça va gazer. »
Cette fois, Mattei s’arrête.
« Qu’il le lâche sur-le-champ ! Je ne tiens pas à en avoir deux à abandonner. »
Le commando défile sous les yeux du lieutenant qui inspecte les hommes un à un d’un coup d’œil rapide. Enfin arrive le légionnaire de queue chargé du petit Santini. Il ne semble pas fournir plus d’efforts que les autres et suit le train avec aisance.
« On t’a donné l’ordre de charger Santini sur ton dos ? interroge Mattei.
– C’est rien, mon lieutenant, il pèse pas plus qu’un chat. »
L’accent du légionnaire frappe Mattei en plein cœur.
« Comment t’appelles-tu ?
– Clary, Antoine, mon lieutenant. »
Mattei sourit. S’ils étaient seuls, il l’embrasserait.
« D’où es-tu ?
– De Bastia, mon lieutenant. »
Mattei dévisage son compatriote.
Clary n’est pas grand, mais il est presque aussi large que haut. Ses bras courtauds et noueux donnent une idée de sa puissance. Un énorme tatouage apparaît sur sa poitrine par la large échancrure de sa chemise. De l’extrémité de sa canne, Mattei élargit l’ouverture. Le tatouage représente un immense Christ en croix, la barre horizontale de la croix s’étend d’une extrémité de l’épaule à l’autre, la barre verticale du cou au nombril. Le Christ est habilement dessiné. L’énorme tatouage se complète de l’inscription : « Si tu as souffert, moi aussi ! »
Mattei sourit puis se tourne vers Klauss.
« Vous ne pouviez pas me dire qu’il était Corse ? Je lui aurais donné l’autorisation de porter Santini sans m’arrêter ! Vous me faites perdre du temps, Klauss ! »
Ravi de son injustice, Mattei laisse le sergent allemand médusé et reprend la tête de la colonne sans ralentir son rythme d’enfer.
À dix-neuf heures, la patrouille débouche sur le village, brusquement. Quelques misérables
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