Par le sang versé
Choisissez vos hommes et tenez un journal de marche très complet. Je veux avoir un rapport sur tous les événements dont vous aurez été acteurs ou témoins.
– Comptez sur moi, mon commandant. Je pars dans une heure environ.
– Dans la nuit ?
– Dans la nuit évidemment. »
Mattei se dirige vivement vers le groupe Klauss et expose son plan au sergent-chef :
« En dehors de vous et de moi, je veux Osling, Fernandez et Ickewitz. Trouvez-moi en plus quinze volontaires pour nous accompagner. Ça ne va pas être une partie de plaisir : choisissez les hommes les plus endurants.
« Au fait, tâchez de décider le petit Italien aux grenades, on va manquer de distractions, ça sera toujours utile d’avoir un clown sous la main dans les moments de découragement.
– À vos ordres, mon lieutenant », lance Klauss que la perspective d’une opération de commando plonge dans l’allégresse.
13.
L E commando Mattei est composé vers trois heures du matin. Le lieutenant et les deux sergents compris, ils sont dix-neuf hommes qui vont partir pour une folle aventure.
Interroger les prisonniers pour connaître la destination des fugitifs est inutile ; il est évident qu’ils ne savent rien du plan de fuite de « l’oncle Ho » et de son état-major. Il n’y a qu’une certitude, c’est la direction générale du groupe : sud-sud-ouest. Mais la multitude des pistes et surtout l’habitude du terrain qu’ont les viets ne permettent pas de prévoir leur marche avec une précision suffisante.
Mattei ne dispose que de deux éléments qui jouent en sa faveur : primo, le car qui peut laisser des traces ; secundo, l’intuition et le talent de pisteur de Klauss qui, une fois de plus, va être mis à l’épreuve. Néanmoins, Mattei ne se leurre pas. Ho Chi Minh avait certainement envisagé la prise de Ninh-Binh ; sa fuite n’a sûrement pas été improvisée et il doit être entouré de spécialistes, véritables experts dans l’art de brouiller les pistes et de faire disparaître les traces. La décision du lieutenant est vite prise ; pendant les premières quarante-huit heures, le commando se dirigera à la boussole, se contentant de progresser en marche accélérée. C’est une méthode où la chance va jouer un rôle trop important et Mattei le sait, mais en revanche, l’ennemi ne peut prévoir la façon d’agir de ses poursuivants, ce qui constitue un atout majeur.
Mattei avance en tête, il ne porte pas d’arme et joue de la canne faisant en sorte qu’aucun obstacle ne ralentisse sa course. Derrière lui les hommes suivent, muets, économisant leur souffle et leurs forces. Dans la nuit le commando franchit des arroyos, piétine dans des bourbiers, s’empêtre dans les lianes de la forêt sans qu’aucun commentaire échappe aux légionnaires harassés ; ils marchent comme des automates, les traits tirés, les yeux hagards, la respiration haletante. Chacun d’eux n’a qu’une idée : suivre celui qui le précède. L’aube et la chaleur naissante ne ralentissent pas la cadence du lieutenant. Vers deux heures de l’après-midi enfin, Mattei ordonne une halte.
Il s’assoit sur une pierre tandis qu’autour de lui ses dix-huit compagnons se laissent tomber sur place. Klauss sort de la poche de sa chemise un paquet de troupes qu’il contemple un instant, amusé. Les cigarettes sont tellement imprégnées de sueur qu’elles forment une boule compacte de tabac humide. Klauss jette le paquet et en cherche un nouveau dans son sac, puis il rejoint Mattei qui est occupé à faire un point approximatif sur la carte qu’il vient d’extraire de son képi.
« Si je ne me trompe pas, déclare le lieutenant, nous devons nous trouver à environ deux kilomètres d’un groupe de paillotes où nous pourrions peut-être nous reposer quelques heures et trouver du ravitaillement. »
Klauss hoche la tête, sceptique.
« Franchement, mon lieutenant, vous y croyez à cette mission ?
– Je crois qu’il n’y a rien d’autre à tenter. L’enjeu est tellement énorme qu’il vaut la peine que nous crevions tous si on a une chance sur mille de réussir.
– Oui, mais justement, a-t-on une chance sur mille ?
– Ça, mon vieux, nous le saurons plus tard.
– En attendant, marche ou crève !
– Eh oui, Klauss, marche ou crève ! Ce n’est pas moi qui ai inventé cette devise. Ne me dites pas que vous perdez le moral simplement après cette
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