Par le sang versé
Mattei. Mais il faut se rendre compte. Et pour ça il n’y a qu’une solution, c’est de les remonter.
– Pas moi, mon lieutenant, je descends plus, supplie Santini.
– D’accord, Santini, on va y aller chacun notre tour, ce qui m’étonne c’est qu’on n’ait rien senti. Ça puait pas dans le fond ?
– Je crois pas mon lieutenant, j’ai pas remarqué.
– C’est qu’ils ne sont pas là depuis longtemps. Allez préparer une seconde corde. Qu’un homme descende tout de suite. Il passera les pieds des morts dans un nœud coulant, on tirera d’en haut. »
Toujours aussi blasé, Munch descend le premier. Les deux filins se déroulent de cinq mètres environ avant que l’Allemand crie :
« Stop. »
Une minute plus tard, il lance d’une voix neutre :
« Tirez la deuxième corde et renvoyez-la, je reste en bas. »
Un premier corps est hissé et la corde est renvoyée au fond.
Munch patauge dans le charnier, dégageant les membres, afin de pouvoir rapidement les passer dans le nœud coulant. Avec une totale insensibilité il promène le faisceau de sa lampe sur le macabre spectacle.
Quand le quatrième corps parvient à la surface, Mattei se penche et interroge :
« Tu veux qu’on te relaie ?
– Ça va, mon lieutenant, ne perdons pas de temps, renvoyez la corde. »
Il y avait neuf cadavres dans le fonds du puits, six femmes et trois hommes. Tous des vieillards. Comme l’avait prévu Klauss, les hommes, femmes et enfants qui le pouvaient avaient dû fuir devant l’arrivée des viets et devaient se terrer alentour dans les herbes épaisses.
Deux madriers avaient été disposés en croix à la surface de l’eau pour empêcher les corps de s’enfoncer et donner l’impression que le puits était tari.
Klauss et Osling se tiennent maintenant en bordure du puits.
« Il y a de l’eau ? crie Osling.
– Il y a de l’eau, mais elle n’est pas appétissante. »
Depuis un moment les légionnaires contemplent les cadavres qui ont été exécutés selon le même procédé qu’au précédent village, la gorge tranchée. Ils comprennent tous que le sang des suppliciés s’est entièrement répandu dans l’eau du puits. Toujours livide, Santini marmonne :
« Moi, je préfère crever de soif, je ne touche pas à cette flotte. »
Il est approuvé par la plupart des hommes, et cette réaction inquiète Mattei. Si les hommes refusent de boire, il n’y a plus qu’à rebrousser chemin et à essayer de rejoindre le bataillon ; la mission se soldera par un échec.
Le lieutenant décide de jouer une dernière carte. Il éclate de rire :
« Ah ! Il est beau mon commando de volontaires ! Une fameuse bande de fillettes ! Si encore vous n’étiez que des petits délicats, mais vous êtes aussi ignorants que les imbéciles qui ont cherché à vous dégoûter. » Les hommes dévisagent, ahuris, le lieutenant qui poursuit avec une parfaite mauvaise foi :
« Vous ne savez pas que le sang est beaucoup plus léger que l’eau et qu’il est donc demeuré à la surface.
En lestant les bidons avec quelques petits cailloux et en les envoyant par le fond au bout d’une ficelle, on recueillera de l’eau aussi limpide que celle d’une source. D’autre part, ce procédé stupide employé par les viets pour chercher à nous écœurer dé montre qu’ils n’avaient rien d’autre sous la main pour saboter le puits. »
Tout en parlant, Mattei a dévissé son propre bidon et a commencé à y introduire de petites pierres. Il a ensuite fixé à l’anneau un long fil de nylon, et avec des gestes de pêcheur, il laisse glisser le tout dans le puits. Après une minute, il retire le bidon aussi rapidement qu’il le peut.
Osling sort d’un flacon une pastille antiseptique et la tend au lieutenant. Mais Mattei veut sa démonstration éclatante. Il repousse ostensiblement l’offre du sergent-chef :
« C’est inutile. Je suis persuadé que cette eau est parfaitement potable. »
Surmontant sa répulsion, le lieutenant porte le bidon à ses lèvres et boit à larges gorgées ; puis éclatant d’un rire satisfait, il tend la gourde à Osling.
« Vous êtes chic avec moi, mon lieutenant ! » lance le sergent avant d’imiter l’officier.
Klauss entre dans le jeu.
« Eh ! vieux, part à trois, laisse-m’en. »
Il arrache le bidon des mains de son compagnon.
Il n’en faut pas plus pour convaincre les hommes que l’eau est parfaitement pure. Chacun se
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