Par le sang versé
peut déceler les signes de leur épuisement.
Un logement a été aménagé au premier étage d’une buvette épicerie. Clary est parti à la recherche de linge pour la petite Anne-Marie. Mattei s’occupe à classer les documents que les rebelles n’ont pas eu le temps de détruire. Les autres déambulent dans les ruelles à la recherche de filles et de bière.
Le bataillon ne les rejoindra que six jours plus tard. Les traînards ont été récupérés. L’opération sera considérée comme un échec. La volonté tenace, rageuse d’un petit lieutenant corse n’aura pas changé le cours de l’histoire. La guerre d’Indochine se poursuivra. Implacable.
15.
L ORSQUE le 3 E Étranger fit mouvement sur le Tonkin, il laissa son 3 E bataillon implanté dans le sous-secteur de Sadec, à 180 kilomètres au sud-ouest de Saigon. Ce delta au sol spongieux formé tout entier par le lent apport des alluvions du Mékong est sillonné par de grands cours d’eau, quadrillé par un réseau très serré de canaux, de rachs, d’arroyos. De tout temps le sampan et la jonque y ont été le moyen de transport des autochtones, et à la veille de la guerre d’innombrables chaloupes à vapeur assuraient des services réguliers entre les différents centres.
À leur arrivée, les légionnaires trouvèrent les ports fluviaux encombrés de vieilles carcasses abandonnées. Au grand étonnement des autorités, le 3 E Étranger réclama aussitôt l’attribution de ces coques détériorées que nul n’imaginait voir reprendre le cours des fleuves. Après de longues démarches le 3 e bataillon obtint pourtant l’autorisation de remettre en état la My Huong, une chaloupe d’une vingtaine de mètres équipée de deux moteurs à vapeur.
C’est le capitaine Vergnes, commandant la 2 e compagnie, qui avait dans un bel élan d’optimisme entrepris de rendre navigables les ruines de la chaloupe. Il fallut six mois à une équipe de dix légionnaires représentant plusieurs spécialités pour venir à bout d’un travail à première vue irréalisable.
Les deux moteurs furent démontés pièce par pièce, les éléments défectueux réparés, la rouille grattée centimètre par centimètre. On rabota la coque que l’on consolida ensuite à l’aide de pièces des bois les plus divers. Des plaques de blindage récupérées sur des engins japonais vinrent renforcer les bords du pont. Lorsque, vers la fin 1946, eurent lieu les premiers essais de la My Huong, le bateau avait des allures de yacht de plaisance. On l’affecta à un routinier travail de ravitaillement des postes qui dépendent du sous-secteur de Sadec.
Le 15 mars 1947, le sous-lieutenant Destors est convoqué chez le capitaine Vergnes. Il sait déjà que le lendemain à l’aube, il doit faire office de commandant à bord de la My Huong ; la mission étant le ravitaillement des postes de Long-Hung, Vinh-Than, Lap-Vo et Lai-Vung, tous situés sur le rach Lap-Vo.
Le capitaine Vergnes reçoit cordialement le jeune officier (Destors n’est âgé que de 23 ans).
« Je vous ai convoqué, déclare Vergnes, pour vous apprendre la présence de deux passagers supplémentaires à votre bord demain. Il s’agit de l’administrateur et de sa jeune protégée, M lle Seydoux. »
Destors manifeste peu d’enthousiasme. L’administrateur annamite du sous-secteur 2 ne jouit pas d’une grande estime auprès des légionnaires. Il court sur lui les bruits les plus divers, et bien qu’aucune preuve ne soit venue fonder ces rumeurs, son attachement à la France est souvent mis en doute. Une chose est-certaine, il voue un mépris total à la Légion étrangère. Geneviève Seydoux est arrivée chez lui à peine un mois auparavant. Les légionnaires savent qu’elle prépare une thèse d’histoire sur l’Extrême-Orient, que ses parents sont des intimes de l’administrateur, ce qui explique son installation à Sadec.
« Il y a une raison particulière à cette escorte ? questionne Destors.
– Tourisme ! D’après ce que je sais, l’administrateur a cédé devant l’insistance de la jeune fille qui se plaint de ne pas voir grand-chose du pays.
– Mon capitaine, le secteur est calme, je l’admets. Mais vous savez mieux que moi que nous ne sommes pas à l’abri d’une surprise. Ne peut-on, sous prétexte de sécurité, refuser à cet imbécile sa croisière d’agrément ?
– J’ai essayé, il m’a ri au nez. Le poste important qu’il
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