Par le sang versé
t’arrive quelque chose, on ne te laisse pas.
– C’est tout, mon lieutenant, je vous crois, merci. »
Descola ne survit qu’une demi-heure. C’est le porteur arrière qui s’aperçoit le premier de sa mort. Il appelle Osling :
« Chef, je crois qu’il est canné. »
Osling s’approche et constate le décès, il remonte la colonne jusqu’au lieutenant, après avoir arraché la plaque d’identité du cou de Descola. Il la tend à Mattei. Celui-ci dit simplement :
« On continue à le porter, on l’enterrera au village que nous devons trouver dans la soirée. »
Dans la soirée, au village, changement de décor. Les habitants sont tous là, bien en vie, prêts à toutes les confidences sur le passage des viets. Mattei reçoit des renseignements précis. Le nombre des fugitifs (une dizaine), la marque du car, le temps exact d’avance de la troupe viet (vingt-deux heures). Un vieillard qui paraît être le chef du village affirme avoir reconnu Ho Chi Minh.
Mattei tonne brusquement :
« Vous vous foutez de ma gueule ! Parfait, je fous le feu au village et je détruis toutes vos réserves de vivres. »
Sur un geste du lieutenant, Klauss improvise une torche et tranquillement incendie la première paillote. Le vieillard tombe à genoux aux pieds de l’officier.
« Arrêtez, lieutenant, je vous en prie, arrêtez, je vais vous dire la vérité.
– • Inutile ! Je la connais. Tout ce que vous m’avez dit est vrai, sauf la présence d’Ho Chi Minh ; et votre village n’a été épargné que pour vous permettre de me mentir. »
Le vieil homme ne répond même pas, il hoche la tête tristement.
Mattei laisse brûler la paillote incendiée et donne l’ordre d’arrêter la destruction. Les hommes se contentent de se ravitailler largement.
À l’aube du jour suivant commence la marche à tâtons. Le commando poursuit sa progression en zigzag vers le sud, dans l’espoir de tomber au hasard sur une piste ou des traces. Mattei impose avec fureur un rythme d’enfer. Chaque soir, au hasard des villages rencontrés, on abandonne un ou deux légionnaires qui sont dans l’incapacité de poursuivre. La plupart ont les pieds en sang, ils ont tous perdu une dizaine de kilos, la dysenterie les ronge, ils ne se lavent plus, ne se rasent plus, ils n’ont plus la force de parler, plus la force de penser, ils suivent comme des robots usés, se traînant lamentablement derrière un petit officier corse soutenu par une volonté rageuse.
Au bout d’une semaine, ils ne sont plus que quatorze. Après deux semaines, six hommes seulement sont parvenus à suivre l’officier et les deux sergents. Parmi eux se trouvent Santini et Clary qui s’est révélé de tous le plus insensible à la fatigue. Il porte toujours dans son sac la petite Anne-Marie qu’il a obstinément refusé d’abandonner dans un village. La fillette s’est habituée à son mode de transport et n’a pas souffert le moins du monde de la folle poursuite.
Le 20 juillet, près d’un mois après le début de leur expédition, les neuf rescapés parviennent en vue de Baï-Naï, une agglomération de plusieurs centaines d’habitants. À vol d’oiseau, ils ne sont qu’à une cinquantaine de kilomètres de leur point de départ, mais ils ont parcouru cinq fois cette distance pour y parvenir. Au centre du village, ils trouvent le car viet dont le moteur est encore tiède. Ils apprennent rapidement que les hommes qu’ils poursuivent ont à peine quatre heures d’avance. L’abandon du car dans une agglomération est leur ultime subtilité pour brouiller leur piste.
Assis à la place du chauffeur, Mattei contemple amèrement les huit loques qui l’entourent avant de jeter un œil sur le rétroviseur brisé qui lui renvoie son image. Vaincu, le lieutenant re nonce. Qu’attendre maintenant de son commando et qu’attendre de lui-même ? Et puis, Ho Chi Minh est peut-être déjà bien loin.
Mattei se demande tout d’un coup s’il n’a pas poursuivi un rêve.
Un étrange miracle de la Légion se produit alors à Baï-Naï.
Pendant un mois ces hommes ont souffert au-delà des limites humaines. Pendant un mois ils ont marché, combattu, marché ; ils ont supporté la soif, les privations, la fatigue et les douleurs d’une infernale poursuite. Pourtant ils ont tous conservé au fond de leur paquetage une tenue de rechange propre, et moins d’une heure plus tard, ce n’est que sur leurs visages creusés que l’on
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