Par le sang versé
acquiesce.
Le sergent fait venir Ehrnberg et Gonzalès :
« Montez la scie à bois : il faut abattre un gros aréquier. Trouvez-moi un tronc de cinq mètres de long et clouez des branches perpendiculairement, démerdez-vous pour ajouter des poignées, vous me suivez ?
– Bien sûr, chef ! Des branches pour servir de civière aux blessés, des poignées pour que les nageurs puissent manœuvrer l’arbre facilement.
– Exactement, grouillez-vous. »
L’exécution rapide de ce plan se serait révélée impossible dans une autre arme, mais à la Légion, une patrouille même légère ne sort jamais sans transporter avec elle (la plupart du temps inutilement) un matériel qui lui permet de faire face aux situations les plus inattendues.
Vers minuit, l’étrange radeau est terminé. Une dizaine d’hommes le transportent, remontant le cours du fleuve sur la distance nécessaire pour permettre la traversée en s’aidant du courant qu’a évalué Begin. La mise à l’eau s’effectue sans que l’ennemi la remarque, bien que les légionnaires aient dû se porter presque en face des emplacements viets.
Deux hommes se déshabillent et, en nageant, poussent le lourd tronc d’arbre vers la rive opposée. Ils entendent des cris avant les premiers coups de feu ; puis ils perçoivent nettement le bruit sec que font les balles qui s’enfoncent dans le bois. Mais l’épaisseur de l’aréquier les met hors d’atteinte.
À bord de la My Huong, Destors a compris. Il prépare une longue corde qu’il love d’un geste marin entre son coude replié et l’angle formé par son pouce et son index.
Lorsque le radeau paraît à sa portée il lance. Il doit s’y reprendre à trois fois avant que l’un des nageurs parvienne à se saisir du cordage. C’est ensuite un jeu d’enfant que de tirer le tronc jusqu’au flanc du navire.
« Combien de blessés ? interroge l’un des nageurs sans chercher à monter à bord.
– Huit. »
À côté de Destors, sur le pont, Naessans observe l’esquif.
« C’est pas bête, dit-il, mais leurs branches ne supporteront jamais le poids des huit blessés, il fa udrait foutre des flotteurs au bout.
– Il y a des jerricans d’huile en bas, lance Destors. Videz-les, ça fera l’affaire. »
Six jerricans sont arrimés deux par deux aux extrémités des branches porteuses. L’esquif y gagne en stabilité. Les blessés sont descendus tant bien que mal à l’aide d’une corde, et disposés à l’abri les uns sur les autres.
Le légionnaire à la mitrailleuse n’a pas quitté son poste, prévenant toute attaque. Le radeau étant protégé par la chaloupe, les viets ont cessé le tir.
À bord de la My Huong, il reste une dizaine de civils et trois enfants. L’ordre est donné de sauter à l’eau. La plupart pro testent, prétendant ne pas savoir nager. Destors menace d’abattre les retardataires. Tous alors se jettent par-dessus bord et barbotent vers le tronc d’arbre.
Destors rassemble les légionnaires valides, Geneviève Seydoux et l’administrateur :
« Il faut que l’un de nous reste à la mitrailleuse, dit-il, sinon on n’arrivera jamais de l’autre côté. « Je reste », tranche Hoffmann. Un silence suit sa déclaration avant que Destors poursuive :
« Vous savez que vous n’avez aucune chance, Hoffmann ! » Impassible, Hoffmann déclare : « Défonçons le pont à la hache, on peut en tirer un radeau assez lourd pour y attacher nos morts ; ils me serviront de protection pour tenter de traverser. De toute façon, ce serait atroce de les laisser ; les viets les mettraient en charpie. »
Sans un mot, les hommes assemblent tout le bois et les objets flottants qu’ils peuvent trouver. Ils y attachent les seize cadavres, et ce second radeau est jeté au fleuve, retenu à la chaloupe par un cordage.
À leur tour, Geneviève Seydoux, l’administrateur et les légionnaires sautent à l’eau. Sous la protection de l’arbre, la traversée commence.
Hoffmann s’est installé à la mitrailleuse.
Il attend que les viets déclenchent le feu dans la direction du tronc flottant et se jettent à l’assaut de la chaloupe qu’ils imaginent abandonnée.
En jubilant, l’ancien pilote de chasse les laisse approcher à découvert. Puis, posément, il ouvre un feu ininterrompu, provoquant un carnage et le repli précipité des quelques survivants.
De son poste, il ne peut suivre la progression de l’arbre et de ses compagnons.
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