Par le sang versé
le colonel Le Pulloch, chef du secteur Sud-Annam, sort d’un tiroir les plans d’un train blindé que lui avait, jadis, soumis un officier du Génie. Jusqu’alors le projet était resté vague et confus ; la construction d’un gigantesque tank sur rail avait fait sourire, et la plupart des spécialistes consultés l’avaient considéré comme une extravagante divagation d’un officier ambitieux. Depuis l’attaque sauvage du 13 février 1948, l’optique a changé ; il faut faire quelque chose et le colonel Le Pulloch arrive rapidement à une triple conclusion : seul le trajet de train blindé peut lui permettre de gagner la bataille du rail ; seule la Légion peut réaliser une entreprise où doivent s’allier courage et imagination, bricolage et discipline ; seul un officier exceptionnel peut en assurer le commandement.
Quelques jours de recherche suffisent au colonel Le Pulloch pour mettre la main sur l’homme qu’il lui faut.
Le capitaine Raphanaud vient de rejoindre la Légion étrangère en Indochine. Ses états de service et ses citations sont impressionnants. De plus, il sort d’une école de commando et il est considéré comme un grand spécialiste de la guérilla. À l’heure présente, il se trouve à Phan-Rang où il attend une affectation.
Le colonel Le Pulloch convoque aussitôt Raphanaud au P. C. de Nha-Trang et lui communique tous les plans concernant la création éventuelle d’un train blindé.
Raphanaud est étonné, mais aussitôt l’idée le passionne. S’il formule des réserves et se montre sceptique, c’est dans l’espoir d’obtenir le maximum de pouvoirs et une aide financière supérieure aux prévisions du colonel.
Les détails administratifs sont réglés en moins d’une semaine. Raphanaud a obtenu satisfaction sur trois points qu’il considère essentiels. Primo, l’aide sans conditions des chemins de fer indochinois ; secundo, la collaboration totale d’un ingénieur civil de la compagnie, Philippe Labrice ; tertio, le droit de choisir, au sein du 2 e Étranger, les officiers, sous-officiers et hommes de troupe qui formeront l’équipage du train blindé.
Vers la fin du mois de février, le capitaine Raphanaud se dirige de sa démarche nerveuse vers le dépôt central des chemins de fer de Nha-Trang. Il a un premier rendez-vous avec l’ingénieur Labrice.
Raphanaud est un petit Champenois au visage sanguin et, hors sa voix au timbre fracassant, il n’a rien de l’officier de Légion typique. Pourtant, une véritable légende court sur son compte : il totalise huit évasions pendant l’occupation, dont une de la prison de Moulins, dans la nuit qui précédait son exécution.
L’ingénieur Labrice, en revanche, a un physique qui correspond parfaitement à ses fonctions. À peine plus grand que le capitaine, il est prématurément chauve et porte de fines lunettes sans monture qui accentuent son allure d’élève consciencieux et appliqué.
Deux heures suffisent à l’officier pour faire connaître le projet à l’ingénieur. Une question, toutefois, n’est pas résolue : la main-d’œuvre.
Raphanaud, qui, depuis le début, a son idée, explique :
« On a mis à ma disposition une compagnie du Génie qui travaillera sous vos ordres, mais, demain, je commence une inspection des postes Légion du Sud-Annam. C’est bien le diable si je n’y trouve pas une dizaine de spécialistes qui pourront vous aider. » Raphanaud ne sous-estimait pas les possibilités de la Légion. Au 1" bataillon, on lui signala un caporal-chef, Emil Kaunitz, ancien officier mécanicien à bord des U-Boot de la Kriegsmarine allemande. Technicien habile, bricoleur-né, Kaunitz fut rapidement désigné pour seconder l’ingénieur Labrice, et c’est lui qui résolut le problème, apparemment insoluble, du blindage du futur train. Sur la grève, à quelques kilomètres de Nha-Trang, le sous-marinier allemand repéra l’épave d’un L. S. T. japonais ; découpées au chalumeau, ses plaques servirent de protection aux quatorze wagons qui allaient composer l’arme secrète des légionnaires.
Sur le toit de chaque wagon, une tourelle mobile, armée d’une mitrailleuse lourde, est aménagée. Sur les parois les plaques de blindage sont renforcées de briques et de ciment. Deux rangées de meurtrières superposées et intercalées permettent à dix-huit tireurs de repousser toute attaque. Quatre armes lourdes (mortiers de 81) sont en batterie aux deux
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