Paris, 1199
faim.
Quant à la jongleresse, elle était trop belle et
partagerait sa couche.
La représentation devant Saint-Gervais terminée,
et ne se doutant pas des noirs desseins du commandeur, Guilhem et Bartolomeo
laissèrent Anna Maria chez Geoffroi le Tavernier, où l’attendait son mari.
Bartolomeo rentra à l’auberge et Guilhem se rendit chez le gros Bertaut,
espérant y trouver Sanceline.
Il l’avait déjà vue deux fois depuis le début de
la semaine, malgré l’opposition de son père.
Tout avait commencé le mardi quand Sanceline était
venue assister au spectacle devant Saint-Gervais. Comme Guilhem était ensuite
resté près d’elle, elle l’avait interrogé sur Toulouse.
Elle voulait surtout qu’il lui parle des cathares
qui vivaient là-bas. Ne lui avait-il pas dit qu’ils avaient des évêques ?
Comme on pouvait les écouter, elle avait proposé
qu’ils se rendent chez le gros Bertaut. Bertaut et sa femme tissaient ensemble.
C’est lui qui manœuvrait le métier, un grand cadre horizontal en bois sur
lequel étaient tendus deux mille fils de chaîne dans le sens de la longueur.
C’est lui qui enroulait l’étoffe au fur et à mesure qu’elle était tissée, et
c’est lui qui jouait des pédales pour croiser les fils. Sa femme lançait la
navette et, après chaque passage, pressait le fil contre le précédent à l’aide
d’un peigne.
Guilhem et Sanceline s’étaient installés au fond
de l’ouvroir. On pouvait les voir de la rue mais pas les entendre, car si la
navette faisait peu de bruit en glissant, le claquement des pédales couvrait
leurs paroles. Tout en discutant, Sanceline encollait du fil de laine avec de
la colle de froment pour éviter qu’il ne casse quand il serait tiré par la
navette.
Guilhem lui avait rapporté tout ce qu’il savait
sur ceux qui se nommaient les bons chrétiens. Le comte de Toulouse les
laissait tranquilles, lui avait-il dit, et le vicomte Raymond Trencavel,
suzerain d’Albi et de Carcassonne, était bienveillant avec eux, tout comme la
plus grande partie de la noblesse du Midi. Il avait pourtant précisé que
c’était surtout par intérêt qu’ils agissaient ainsi.
— Pourquoi ? lui avait-elle demandé
pendant que les Bertaut écoutaient.
— Votre religion affaiblit l’Église, puisque
vous refusez ses lois. En laissant s’installer des évêchés cathares, les
puissants s’affranchissent de Rome. Certains espèrent même s’emparer un jour
des biens d’une Église inutile.
— Vous êtes cynique, noble Guilhem, lui
avait-elle reproché sèchement. Ne croyez-vous pas que la foi peut transformer
les hommes ?
— Pas avec la vie que j’ai connue, lui
avait-il tristement répondu.
Ils s’étaient quittés brouillés mais, désireuse
d’en savoir plus, ou souhaitant simplement sa compagnie, elle était à nouveau à
Saint-Gervais le lendemain et, tout naturellement, ils étaient revenus chez les
Bertaut.
Pour ne plus se disputer, il lui avait raconté
dans quelles circonstances il avait rencontré Anna Maria, Bartolomeo et Robert
de Locksley, et il lui avait même parlé de Constance Mont Laurier. En
plaisantant, elle l’avait alors interrogé sur les femmes qu’il avait connues.
Il avait été évasif, mais il était beau et
chantait l’amour, aussi avait-elle deviné quelle vie il menait. Elle lui avait
gentiment reproché de pécher ainsi et il lui avait rétorqué, mi-sérieux,
mi-riant, que l’amour n’était pas péché mais vertu.
— L’amour rend bons les méchants et les bons
meilleurs, lui avait-il même affirmé.
Elle était restée silencieuse, songeuse et les
yeux baissés, pendant qu’il humait sa douce odeur de romarin.
Ce jour-là, ils s’étaient séparés avec regret.
Le lendemain, il avait été impatient de la
retrouver, préoccupé pourtant de cet amour naissant mais impossible. C’était le
jour où les Templiers lui avaient proposé de venir jouer au manoir du Temple.
Dès qu’ils étaient partis, il s’était précipité chez Bertaut.
Sanceline l’attendait et il s’assit près d’elle.
— On m’a dit qu’Amaury vous voulait pour
femme, lui dit-il d’une voix qu’il voulait détachée.
— Peut-être, mais je ne serai jamais son
épouse.
— Parce qu’il est un voleur ?
— Surtout parce que je souhaite devenir
Parfaite, comme mon père.
— Avez-vous vocation à devenir nonne ?
plaisanta-t-il.
— Saint Paul n’a-t-il pas affirmé : il
est bon à
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