Paris, 1199
l’on me dit
Pourtant allais rue de la Mortellerie
Bartolomeo entra dans la salle en lançant un bâton
et une écuelle. Il rattrapa prestement le morceau de bois et saisit l’écuelle
par une de ses extrémités, la faisant tourner comme une toupie. Puis, il plaça
l’autre bout du bâton sur son front. Pendant ce temps, Anna Maria dansait en
tirant des sons gais de son psaltérion.
À table, les convives avaient terminé les poissons
et les valets portaient des pâtisseries sucrées et salées avec des confitures.
Fatigué un peu m’assis
Sur un pas rue de la Tisseranderie
Allais rue de la Poterie
Mais ma femme n’y était mie
Enfin au Grand pont la trouvais
Où depuis elle m’attendait
J’en suis resté bien trop honteux
Car les galants étaient nombreux
Je les chassais d’un coup de pied
Et je rentrai chez nous fatigué.
Guilhem lança un dernier son de sa vielle et les
trois jongleurs saluèrent. La représentation était terminée.
Chapitre 26
I ls
se retirèrent dans l’escalier pour se délasser, car ils avaient joué, jonglé et
dansé pendant plus de deux heures. À voix basse, Bartolomeo expliqua qu’il
n’avait rien découvert et Anna Maria confirma qu’il en était de même pour elle.
Ils étaient venus pour rien.
Un peu plus tard, le chambellan vint les voir et
ils retournèrent dans la grande salle. Le repas se terminait et la plupart des
convives s’étaient retirés, sauf ceux qui espéraient échanger quelques mots
avec Anna Maria, pour savoir si elle était vraiment godinette [58] ou puterelle comme en
témoignaient ses habits. Si elle accepta leurs compliments, elle les garda à
distance et ils repartirent déçus.
Le chambellan leur proposa alors de se rendre dans
la cuisine ripailler les restes du banquet, mais auparavant le grand maître, le
noble sire Lucas de Beaumanoir, voulait parler au chef de la ménestrandie.
Pendant qu’un valet conduisait Anna Maria et
Bartolomeo jusqu’aux fourneaux de la cour, où les domestiques se gavaient déjà
des restes des rots, le chambellan conduisit Guilhem au premier étage.
Ils entrèrent dans une belle et vaste chambre
meublée de coffres, d’un lit à l’épaisse custode, d’une table, d’une haute
cathèdre, d’un faux d’esteuil et de bancs. Des armes décoraient les murs en
boiserie ainsi qu’un gonfanon aux armes du Temple. Deux Templiers
l’attendaient, debout. L’un était le commandeur Malvoisin et l’autre celui qui
présidait le banquet. Le chambellan le présenta. C’était bien le grand maître
des Pauvres chevaliers du Christ, Lucas de Beaumanoir.
Guilhem s’agenouilla un instant.
— Dieu vous garde, très-haut et révérend
seigneur, fit-il en se relevant.
— Que Dieu soit aussi avec toi, ménestrel.
Tes farceries nous ont bien ébanoyé, ce fut un régal et un plaisir, pourtant je
suis un peu déconfit à ton sujet, commença sévèrement Beaumanoir.
— Vous aurais-je déplu, seigneur ?
— Une rumeur est arrivée à mes oreilles,
ménestrel, que tu serais écuyer ou chevalier.
— C’est parfaitement vrai, noble grand
maître. Je parcours les routes en chantant l’amour et la guerre, deux arts dans
lesquels j’excelle pour les avoir pratiqués, sourit-il, mais mes deux
compagnons sont jongleurs, bien que de noble origine.
— Cela explique sans doute votre talent.
As-tu souvent combattu ?
— Oui-da, grand maître, j’ai été dans
plusieurs compagnies, au gré des engagements qui me convenaient, car je ne suis
vassal de personne.
— Avec qui ?
— J’ai connu Mercadier et le seigneur de
Gaillon, fit prudemment Guilhem qui se demandait ce que savaient les deux
Templiers, et ce qu’ils lui voulaient.
— Tu étais mercenaire ?
— Oui, seigneur.
— Voici les deniers d’argent convenus, toi et
tes compères aimeriez sans doute en gagner plus…
— Certainement, seigneur, notre ménestrandie
n’est pas riche.
— Pourquoi êtes-vous venus à Paris ?
— Nous allons où l’on nous réclame, seigneur.
— Vous aviez donc une bonne raison de venir
ici ?
— Oui, seigneur, reconnut Guilhem,
brusquement sérieux, le sire Lambert de Gaillon m’a demandé de me renseigner
sur un homme qu’il recherche. Il a jugé qu’il me serait facile de le retrouver,
car on fait facilement confiance à des jongleurs.
Aux regards qu’échangèrent les deux Templiers,
Guilhem comprit qu’on l’avait fait venir pour l’interroger sur
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