Paris, 1199
vais vous conduire au Grand-Châtelet où
vous raconterez vos crimes au prévôt.
— Et si je refuse ?
— Croyez-vous que je vous laisse le
choix ? Si c’est nécessaire, vous serez torturé.
— Je n’ai pas peur de la torture.
Guilhem ne répondit pas. Tout en frappant avec
vigueur dans le joint avec le maillet que Bartolomeo lui avait laissé, il se
demandait si Bracy pouvait être si courageux. Il était son seul témoin. S’il ne
parlait pas, Robert de Locksley, Anna Maria et Sanceline étaient perdus.
— Pourquoi Robert de Locksley n’est-il pas
avec vous ?
— Il a été arrêté. On l’accuse d’avoir voulu
tuer Philippe Auguste.
— Je l’ignorais.
De nouveau il se tut et Guilhem continua à frapper
la roche pendant que Bartolomeo déchaussait une autre pierre.
— Où est-il enfermé ?
— Au Louvre.
— Je pourrais le faire sortir, proposa la
voix après un moment.
— Vous ? demanda Guilhem, tellement
interloqué qu’il s’arrêta de creuser.
— Oui-da, je suis un proche du roi. Je
connais les chevaliers et les sergents d’armes qui ont en charge la prison du
donjon. Je parviendrai sans peine à les convaincre de me remette Locksley.
— Ensuite ?
— Malvoisin conduira Hubert à Notre-Dame
avant le lever du soleil. À nous trois, nous pourrons les arrêter.
— Pourquoi vous ferais-je confiance ?
— Parce que j’ai rendu hommage au roi
Philippe et que je n’ai qu’une foi.
— Si vous étiez un loyal chevalier, vous
l’auriez prévenu, persifla Guilhem en arrachant des bouts de roche avec les
mains. Vous n’êtes qu’un félon.
Bracy resta silencieux, tandis que Guilhem se
remettait à frapper la pierre avec la masse. Enfin, elle se brisa en morceaux.
Bartolomeo l’aida à la dégager. Ils s’acharnèrent
pendant un moment jusqu’à ce que Guilhem parvienne à faire basculer les plus
gros restes de l’autre côté.
— Aidez-nous à dégager les débris de votre
côté ! ordonna Guilhem.
— Laissez-moi au moins vous raconter ce qui
s’est passé avant de me juger, proposa alors Bracy d’une voix assurée.
— Je vous écoute, répondit Guilhem en
agrandissant le trou avec sa miséricorde pendant que Bartolomeo creusait autour
d’une autre pierre.
— Il y a un an, j’ai reçu la visite d’Étienne
de Dinant, un chevalier normand proche du prince Jean. Dinant me rappela que
j’avais non seulement été le féal de Jean, mais aussi son ami, et qu’il
souhaitait que je revienne près de lui.
« J’ai été flatté jusqu’au moment où il m’a
expliqué les conditions de cette proposition : le roi de France avait
plusieurs fois manqué à sa parole envers le prince Jean et celui-ci voulait à
bon droit se venger. Jean était prêt à richement récompenser celui qui
exaucerait son vœu le plus cher. Ayant compris le sens de ses paroles, je lui
répondis que j’avais rendu hommage à Philippe Auguste et que je ne le trahirais
pas. Dinant parut accepter mes scrupules et m’indiqua seulement, avec
indifférence, que si Richard venait aussi à disparaître, je pourrais devenir
l’ami du roi de France et d’Angleterre, car Jean saisirait le trône des
lys ; le fils de Philippe étant incapable de le défendre. J’ai objecté que
Richard était toujours roi, mais Dinant me rappela que les fortunes de la
guerre faisaient que le Cœur de Lion pouvait disparaître d’un jour à l’autre,
tant il prenait des risques insensés dans les batailles. Il ajouta alors qu’il
avait aussi beaucoup d’ennemis. Je compris qu’il me comptait parmi eux et qu’il
me demandait non seulement de tuer le roi de France, mais aussi le roi
d’Angleterre.
Après cette confession, Bracy resta silencieux,
peut-être parce que Guilhem s’était remis à frapper de toutes ses forces sur
une pierre presque déchaussée, peut-être aussi par honte pour avoir écouté une
aussi infâme proposition.
— Je l’avoue, reprit-il quand les coups de
masse s’arrêtèrent, l’idée d’être le favori du roi de France et d’Angleterre
m’avait ébloui et troublé, mais n’est-ce pas ainsi que Satan agit ?
Que Satan agisse ainsi, Guilhem l’avait observé.
Mais il savait surtout que le Diable s’adressait à ceux qui prêtaient une
oreille favorable à ses propositions.
— Très vite, pourtant, je me ressaisis et
l’horreur chassa l’avidité qui m’avait de prime abord guidé. Je répondis
froidement à Dinant que je devais la vie
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