Paris, 1199
corps au moindre doute.
Au bas de la rampe de pierre conduisant au donjon,
Bartolomeo resta avec les chevaux, surveillant la sortie vers le pont-levis, tandis
que Guilhem et Bracy montaient à pied jusqu’à la herse.
— Je viens chercher un prisonnier, laissa
tomber Bracy d’une voix fatiguée.
Le sergent qui commandait la garde fit signe à
deux de ses hommes de se mettre à la grande manivelle. Dans un long grincement
prolongé, la herse se leva lentement. À mi-hauteur, ils se baissèrent et
entrèrent.
Le mur de la tour était épais de près d’une toise.
Ils pénétrèrent dans une salle ronde, froide, sombre, voûtée en arcs d’ogive
avec un escalier à vis, en partie dans le mur, qui grimpait à l’étage
supérieur. À part la porte d’entrée, il n’y avait aucune ouverture et deux
flambeaux de résine éclairaient la partie la plus sombre en noircissant le mur.
Aucune cheminée, aucun meuble, sinon des barriques, des tonneaux et des sacs
entassés jusqu’aux arcs-boutants. Sur le mur circulaire étaient accrochés
arbalètes, écus, guisarmes et masses d’arme. L’endroit n’était qu’un entrepôt
comme la plupart des salles basses de donjon. Les pièces d’habitation étaient
au-dessus.
Une vingtaine d’hommes en armes se tenaient là,
assis sur les sacs ou les tonneaux. Certains jouaient aux dés ou aux bibelots,
faisant glisser les petits os entre leurs doigts, à grand renfort
d’interjections et d’encouragements. D’autres sculptaient des morceaux de bois.
Quand Bracy et Guilhem entrèrent, ils arrêtèrent leurs activités et leurs
discussions pour les dévisager.
Prévenu de leur arrivée, un chevalier en haubert
descendait de l’étage supérieur. Tête nue et cheveux très courts, en robe, il
portait son épée haut à la taille. C’était sans doute lui qui avait la garde du
donjon. En les voyant, son visage s’éclaira d’un sourire.
— Bracy ? Que venez-vous faire
ici ? Je ne vous y ai jamais vu !
Il n’y avait aucune méfiance dans sa voix, juste
un brin d’étonnement teinté de la satisfaction d’avoir des visiteurs.
— C’est le seigneur de Gaillon qui m’envoie,
répondit Bracy du même ton ennuyé qu’il avait pris en arrivant. Avant de partir
pour Notre-Dame, le roi veut personnellement interroger le prisonnier, l’Anglais
qui se nomme Robert de Locksley. On vient de saisir de nouveaux complices cette
nuit.
— Encore ?
— Hélas ! intervint Guilhem. Ces
comparses étaient même dans l’entourage du roi, au Palais !
— Je ne vous connais pas, vous, fit le
chevalier, cette fois avec une ombre de suspicion.
— Mon nom est Guilhem d’Ussel. Je suis au
seigneur de Gaillon.
Il aperçut alors, avec soulagement, le sergent à
l’épaisse barbe noire qui l’avait fait entrer dans la grande salle, quand il
était venu au Louvre. Il le désigna du doigt.
— Je suis déjà venu ici, il y a deux
semaines. C’est lui qui m’a conduit à Lambert de Cadoc ! C’était au sujet
de cette enquête que je conduis depuis un mois sur les hérétiques.
Le chevalier se tourna vers le sergent, le regard
interrogateur.
— C’est vrai, seigneur. C’est moi qui suis
allé prévenir le sire de Gaillon de l’arrivée de ce seigneur. Le noble Cadoc
l’a reçu immédiatement et l’a accolé. C’est un de ses amis.
À une époque où peu d’hommes savaient lire, où le
papier était rare, la plupart des ordres étaient transmis par la voie orale et
la confiance jouait un rôle primordial.
— Sang de bœuf ! Nous n’avons guère de
temps pour échanger des souvenirs comme de vieilles femmes, intervint Bracy
avec impatience. Le roi attend !
— Excusez-moi. Le prisonnier est
là-dessous !
Maintenant convaincu, le chevalier désigna une
grille sur le sol et s’en approcha. Il s’accroupit et, ayant sorti une grosse
clef de fer attachée par une chaînette à son baudrier, il fit jouer la serrure,
puis tira un large verrou, tandis qu’un soldat apportait une longue échelle.
Ils la firent descendre à plusieurs et le chevalier cria :
— Toi, l’Anglais, monte ou on va te
chercher !
Guilhem entendit des glissements de pas puis le
craquement des barreaux de bois. Il jeta un regard inquiet à Bracy. Tout se
passait bien, mais cela allait-il durer ?
La tête de Robert de Locksley apparut. Un visage
tuméfié avec une plaie sanglante au-dessus de l’oreille. Il ne tenait les
barreaux que d’une main. Son autre bras
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